Archives anciennes des Hospices de Verdun

Archives anciennes des Hospices de Verdun

Cote/Cotes extrêmes

HDEPOT17/1-442 (Cote)

Biographie ou Histoire

INVENTAIRE SOMMAIRE DES ARCHIVES HOSPITALIÈRES ANTÉRIEURES A 1790 PAR L.-H. LABANDE, ARCHIVISTE-PALÉOGRAPHE, LAURÉAT DE L'INSTITUT

 

LA CHARITÉ A  VERDUN

HISTOIRE DES ETABLISSEMENT HOSPITALIERS & INSTITUTIONS CHARITABLES DE CETTE VILLE, DEPUIS LEUR FONDATION JUSQU4EN 1789.

 

CHAPITRE PREMIER.

L'assistance publique au moyen Age.

Origine, développement et organisation des établissements hospitaliers.

 

Il est peu de régions qui, depuis la conquête romaine, aient autant souffert de calamités de toutes sortes que celle du Nord-Est de la France. Placé dans le voisinage du Rhin, ce pays se trouva naturellement destiné à être foulé aux pieds par les envahisseurs du V e siècle, et servit ensuite de champ de bataille perpétuel dans les luttes de la Neustrie contre l'Austrasie, de la Gaule et de la France contre la Germanie et le Saint-Empire. La ville de Verdun, en particulier, dut à l'importance de sa position stratégique et aux nombreuses voies romaines qui la desservaient  la plupart des désastres que les barbares lui firent éprouver. Ce fut d'abord Attila, dont l'armée détruisit à peu près la cité qu'elle laissa, dit Laurent de Liège, dans l'état d'un champ retourné par un sanglier.

Verdun put se relever de ses ruines, plus heureux en cela qu'un certain nombre de villas romaines des environs qui disparurent complètement, mais ce fut pour être assiégé par Clovis, qui l'occupa après avoir battu ses murailles en brèche et ravagé le pays. L'histoire du Verdunois se trouva intimement liée à celle de Brunehaut et des Mérovingiens de l'Austrasie : aussi des troupes de partisans sans discipline passaient constamment sur ce territoire ce n'était jamais en le respectant. Il y eut alors une période de maux effroyables et de dures calamités, qui dura jusqu'au moment où Charlemagne rétablit pour quelque temps la paix dans la Gaule. Mais quand le grand empereur fut descendu dans la tombe, les guerres recommencèrent, et cette fois, elles ne devaient plus s'arrêter de longtemps. Il suffît de parcourir les annales carolingiennes et d'y lire que Verdun a été compris dans une opération militaire pour être sûr que la ville et les environs ont été dévastés : ils eurent ainsi à subir les déprédations de l'armée de Charles le Chauve en 866 et 870, les exactions d'Hugues, fils de Lothaire II, dont les soldats furent excommuniés au concile de Troyes de 878, et les ravages des troupes de Louis II le Germanique en 879. Ce furent ensuite les Normands qui approchèrent de Verdun en 882, et qui pillèrent toute la région en 888, puis les Hongrois qui tombèrent à l'improviste dans le pays en 917, 926, 936 et 954, en brûlant les villages et en ruinant la campagne ; ce fut encore l'évêque Barnoin et Boson qui, en 932, saccagèrent le Verdunois. En même temps avaient lieu ces longues guerres, où la France et le Saint-Empire se disputaient la possession de la Lorraine, et dont les épisodes les plus marquants furent les trois sièges successifs de Verdun dans le courant de l'année 985. Le XIe siècle et la première moitié du XIIe ne furent pas moins ensanglantés par la rivalité des comtes et des évêques et par la querelle interminable des investitures. Continuellement la cité était prise et reprise au grand dommage des habitants de la ville et des villages voisins. Et quand on n'eut plus à combattre pour ou contre l'empire, ce furent les divisions civiles qui déchirèrent le pays et y apportèrent la désolation, ce furent les luttes des bourgeois contre les évêques, et enfin les révolutions intérieures qui aboutirent à cette cruelle guerre des lignages de 1282. Ce n'était pas encore assez de malheurs : dans le même temps, la famine et la peste, conséquence des ravages exercés par les troupes ennemies, sévissaient avec une fréquence redoutable ; des inondations achevaient d'apporter la misère. De plus la ville de Verdun elle-même, non contente des nombreux sièges qu'elle avait à subir, était détruite plusieurs fois par ces incendies qui faisaient tant de dégâts dans les anciennes cités en grande partie bâties en bois. On se figure aisément d'après cela la condition des paysans et des pauvres gens de la ville. Et encore ces derniers étaient-ils en quelque sorte protégés par les remparts contre les dévastations et les pilleries des gens de guerre ; mais c'étaient eux qui avaient le plus à souffrir de toutes les discordes intestines, qui firent couler tant de sang dans Verdun. Ajoutez à cela et les impositions prélevées, et les redevances plus ou moins arbitraires exigées par les seigneurs, considérez la ruine de l'industrie et du commerce, et voyez la situation lamentable du peuple pendant le haut moyen âge.

I.  L'assistance publique donnée par les évêques. L'aumônerie de la cathédrale.

Pour remédier à des misères semblables, le monde romain et païen n'avait organisé aucun système d'assistance. Peut-être les confréries qui, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, existaient en si grand nombre, avaient-elles fini en certains endroits par organiser pour leurs membres une sorte de service de secours mutuel ; mais cela n'est pas le moins du monde certain. Ce fut l'Église qui la première imposa la mission à ses prêtres de donner à manger à ceux qui avaient faim, de donner à boire à ceux qui avaient soif, de vêtir ceux qui étaient nus, de soulager les malades, d'accueillir les étrangers, de visiter et de racheter les prisonniers, enfin d'ensevelir les morts. Telles sont les sept œuvres de miséricorde qui formèrent en quelque sorte le code de charité, qu'elle suivit avec beaucoup plus d'exactitude qu'on ne le croit généralement. Les conciles réglementaient l'assistance publique, et quand on parcourt leurs canons du IV e au VIe siècle, « on est frappé de la prévoyance des Pères, de la sagesse des mesures qu'ils prescrivent ; on trouve, aux époques les plus éloignées, des traces de certaines œuvres charitables que nous croirions n'avoir jamais existé avant ces derniers temps, comme l'Hospitalité de nuit, la Bouchée de pain, les secours à domicile. » Si les abbayes devaient, de par leur règle, établir un hospice pour les voyageurs et les malheureux sans asile, la maison de l'évêque devait elle aussi « être ouverte à quiconque avait besoin ; dans les conciles, les Pères l'avaient maintes fois rappelé aux prélats, et ceux-ci s'étaient empressés d'observer les recommandations qui leur avaient été faites ; aussi, dans chaque civitas, un service d'assistance publique fonctionnait sous la direction de l'évêque, par l'intermédiaire des diacres. Primitivement, le service hospitalier dut être établi dans les dépendances de la demeure épiscopale ; mais l'extension qu'il prit rendit bientôt insuffisante cette installation ; un bâtiment distinct, auquel fut annexé un modeste oratoire, devint nécessaire ; pour assurer la surveillance de l'évêque, comme pour faciliter aux diacres l'accomplissement de leur tâche, c'est aux abords de la cathédrale qu'il fut élevé. » Le concile d'Aix-la-Chapelle de 8 16 prescrivit même aux chanoines de l'église de laver les pieds de tous les pauvres qui se présentaient dans cet asile, du moins pendant le temps du carême. C'est exactement ce qui s'est passé à Verdun, où plusieurs évêques se recommandèrent par leur amour pour les malheureux : il faut surtout citer ici S. Vanne, S. Airy et S. Paul. Le premier qui mourut en 529, laissa après lui de merveilleux souvenirs. D'après son biographe, il menait une vie absolument parfaite ; il était renommé, paraît-il, principalement par les miracles et les guérisons de lépreux qu'il accomplissait. S. Airy vivait au temps des fils de Glotaire I, et passe pour avoir été un grand bâtisseur d'églises; mais la pauvreté et la misère de ses fidèles le préoccupaient à un haut degré, et c'est là une des principales qualités que lui reconnut son hôte Fortunat : « Tempore praesenti, victum largiris egenis... Non solum dapibus pascis et ore greges... Te solamen inops meruit, te nudus amictum, Et solus cunctis potus et esca manes »

Et autre part, toujours à propos de S. Airy :

« Sumit pauper opem, tristis spem, nudus amictum. Omnia quidquid habes omnibus esse facis. »

Une ancienne tradition veut même que ce saint évêque ait été le fondateur de l'hôpital le plus important et peut-être le plus ancien de Verdun, Ste-Catherine, et qu'il l'ait établi dans sa maison paternelle. Ce n'est pas probable : si l'on veut que S. Airy ait organisé un établissement de secours, ce serait plutôt celui qui se trouvait dans le voisinage de la cathédrale, et qui sera mentionné plus loin. S. Paul, mort le 8 février 631, suivit son exemple et son nom a été conservé comme celui d'un évêque doué de toutes les vertus. D'après la chronique de Bertaire, il aurait été lui aussi un grand thaumaturge pendant sa vie et après sa mort : il aurait rendu la vue aux aveugles, fait entendre les sourds et marcher les boiteux ; enfin il aurait guéri les malades de toute espèce d'infirmités. On parle aussi du pain de S. Paul, souvenir, dit-on, de sa bienfaisance envers les pauvres. Certainement ces pieux évêques n'avaient, pas été sans organiser d'une façon régulière le service de l'assistance publique dans leur ville et c'est à eux très probablement qu'il faut rapporter la fondation dans le voisinage de la porte Châtel, et par conséquent près de la cathédrale, de cette aumônerie dont on retrouve encore un souvenir en 1480, alors qu'il n'en restait plus qu'une maison appartenant aux chanoines. Le bienheureux Richard de St-Vanne (mort en 1046), la désigne implicitement en racontant un des miracles opérés par les mérites du patron de son abbaye. On y trouve des allusions dans un diplôme de Conrad II en faveur de l'église de Verdun, daté de 1142, et dans le testament du sous chantre Gautier (février 1258). Peut-être aussi faut-il voir dans cet établissement du chapitre la « Mason Deu d'Exance, ou Barengiers demoure », dont les « manbours » firent l'acquisition d'une maison en 1313. Quoi qu'il en soit, l'hospice-aumônerie, que possédaient encore les chanoines à la fin du X V e siècle, ressemble trop aux institutions placées au moyen âge sous la direction des évêques et des chapitres des cathédrales, pour que nous n'y voyions pas une fondation remontant à une époque ancienne, peut-être voisine de l'établissement du christianisme dans le Verdunois.

 

II. Hôpital ou aumônerie de St-Vanne

Les premiers évêques de Verdun avaient été inhumés dans la basilique de St-Pierre et de St-Paul, bâtie selon l'opinion commune par S. Saintin, et si célèbre plus tard sous le nom de St-Vanne. Ces tombeaux, objet de la vénération universelle, étaient le but de pèlerinages extrêmement fréquents : les malades y venaient en foule y chercher une guérison qu'ils ne pouvaient trouver que là. «  Que de merveilles, dit le chroniqueur Bertaire, j'ai vues s'accomplir auprès des sépultures des saints Maur, Salvin et Arateur ; combien d'aveugles ont vu, combien de sourds ont entendu, combien de boiteux ont marché droit, combien de démoniaques ont été délivrés, combien de malades ont été guéris ! » Plus grande encore était l'affluence des malheureux auprès du tombeau de S. Vanne. Les lépreux, qui avaient imploré la pitié de cet évêque en son vivant, avaient continué à venir sur sa tombe. Ils avaient même auprès de la basilique une maison particulière, où ils se retiraient en attendant la santé : c'est ce que prouve le testament du duc Adalgise, neveu de Dagobert I (634), portant legs en faveur de l'église St-Pierre et St-Paul, ubi leprosi resident.

Les pèlerinages devinrent encore plus fréquents au Xe siècle, lorsque les clercs de la basilique eurent fait place à une congrégation de moines bénédictins, installée par l'évêque Bérenger en 952. Ce fut tout avantage pour les pauvres, les malades et les passants. S. Benoît prescrivait en effet dans sa règle de s'occuper avec une attention particulière des malheureux et des déshérités de ce monde : il ordonnait à ses frères de les recueillir, de les vêtir, de visiter les malades, de consoler les affligés, etc. Un cérémonial minutieux avait été établi par lui pour la réception des passants et des pèlerins, qui devenaient alors les hôtes du monastère : il fallait les accueillir, comme si Jésus-Christ lui-même se présentait, et leur rendre tout honneur. À peine l'un d'eux était-il annoncé que le prieur allait au-devant de lui, lui donnait le baiser de paix et se prosternait même à ses genoux pour adorer Dieu présent dans cet étranger. L'abbé lui aussi était prévenu, il accourait toute affaire cessante, et lavait les pieds et les mains du voyageur. Puis, celui-ci était confié au frère hospitalier, qui s'informait de ses besoins et pourvoyait à sa nourriture.

C'est en conséquence de ces principes que chaque monastère bénédictin possédait une hôtellerie, où étaient reçus les pèlerins et les passants, et une aumônerie où étaient distribués des secours aux nécessiteux. De plus, comme chacun d'eux avait une infirmerie où étaient soignés les moines, bien souvent on y avait adjoint un petit hôpital pour les malades du dehors, placé sous la direction de l'aumônier et le contrôle de l'abbé. Cette disposition ne se trouve pas dans tous les couvents, on la rencontre seulement chez les plus importants et les plus anciens ; mais étaient absolument de rigueur l'aumônerie et l'hôtellerie.

St-Vanne ne faisait pas exception à cette règle. D'ailleurs cette abbaye, la première qui fut élevée à Verdun, dut être très fréquentée du X e au XIIe siècle : la ville se trouvant placée au centre d'un réseau de voies romaines, nombre de pèlerins passaient nécessairement par là. Elle organisa donc un hospice pour les passants et les malades du dehors et distribua des secours aux pauvres qui se présentaient. C 'est encore le bienheureux Richard qui nous apprend ce dernier fait, lorsqu'il parle d'un lépreux qui venait chaque jour dans l'église de St-Vanne, recevait des moines avec les autres pauvres l'aumône du pain, et priait ensuite le saint de lui rendre la santé. Quant à l'hospice, le monastère, lors de sa fondation, obtint une dotation spéciale pour l'établir : l 'évêque Bérenger lui donna, ad praeparandum hospitale, l'église de St-Pierre-l'Angelé au faubourg Châtel, avec 5 manses et un pré. Il est certain que de très bonne heure des malades s'y sont retirés pour y être soignés : le bienheureux Richard en fait mention dans le récit des miracles opérés par St Vanne, et il raconte qu'un pauvre pèlerin de Bavière y fut reçu et y demeura jusqu'à ce qu'il eût recouvré la santé.

Cet, hospice était placé, comme tous ceux qui lui ressemblaient, sous la direction de l'abbé et de l'aumônier. Nous connaissons au moins le nom d'un hospitalier du X e siècle : c'est Varmon, qui souscrivit un diplôme de l'évêque Vicfrid en 967. On perd ensuite de vue cet établissement jusqu'au XIIIe siècle, où on le voit en 1220 hériter d'un legs fait à son profit. En 1272, l'abbé Raoul et l'aumônier Gobert firent un échange de cens en sa faveur contre le chanoine Geoffroy du Châtel. La pieuse Isabelle, femme Marcat, en 1298, lui laissa aussi 3 sous de cens sur une maison de la rue St-Maur, donnant ainsi un exemple que suivit quelques  années plus tard le chanoine Nicolas de la Porte.

Les bâtiments auraient été reconstruits par l'abbé Louis (1197-1236). Ils furent encore l'objet d'une nouvelle réfection par l'abbé Etienne Bourgeois, mort en 1452. La salle, qui recevait les malades, avait été disposée selon le modèle décrit par Viollet-le-Duc, comme ayant été en usage aux Hôtels-Dieu d'Angers, de Chartres et d'Ourscamps : c'était une salle à trois nefs, séparées par deux rangs de colonnes, et dans laquelle se trouvaient quatre rangées de lits. C'était, à vrai dire, un de ces hôpitaux bien bâtis, bien aérés et spacieux, qui avaient « cet avantage sur les constructions analogues que nous élevons aujourd'hui généralement, de laisser à l'art une large place, de ne point attrister les malades par cet aspect froid et désolé qui caractérise de notre temps les édifices publics de charité. » Malheureusement, l'abbaye tomba en décadence aux XVe et XVIe siècles, les évêques de Verdun en devinrent les abbés et, sous la domination des princes de Lorraine surtout, elle perdit de son ancienne splendeur. L'hospice dut s'en ressentir ; cependant, à l'époque de Nicolas Psaulme, il paraît encore avoir eu assez de revenus à sa disposition pour recevoir et entretenir des pauvres passants et des malades. Nous verrons plus loin, à l'occasion des réformes opérées par ce prélat, la destinée qui lui fut réservée.

III. Hôpital ou aumônerie de St-Paul.

Quelques années après la fondation de St-Vanne, en 973, l'évêque Vicfrid établit encore des bénédictins dans l'église St-Saturnin, où avait été enseveli l'évêque Paul, et qui porta dès lors le nom de ce bienheureux.  Le tombeau qu'on y voyait, était lui aussi un but de pèlerinage pour tous ceux qu'accablaient les maladies et les infirmités : une sorte de baume en découlait, qui avait la vertu de rendre la santé à ceux qui l'avaient perdue.  De tels phénomènes n'étaient pas rares au moyen âge : on peut citer en effet les sépulcres des SS. André et Mathieu, apôtres, Nicolas de Myre, Jean l'aumônier, etc., celui de Ste Catherine d'Alexandrie et surtout celui de Ste Vauburge à Eichstdt, d'où sortait une liqueur parfumée et bienfaisante, recueillie avec respect par les fidèles.

La charte de fondation du monastère de St-Paul porte dotation d'un hospice, où seraient reçus des hôtes et soignés des malades : c'était, nous l'avons vu, une règle absolue pour toute abbaye bénédictine. Il lui fut donc donné un manse devant la porte de la ville, les dîmes de Ponte- Petrino, de Sampigny, etc. On a prétendu sans raison sérieuse, qu'il fut bâti à l'emplacement même où s'éleva plus tard l'hôpital St-Nicolas de Gravière. Il est très probable, pour ne pas dire certain, qu'il se passa là le même fait que dans la plupart des autres couvents soumis à la règle de S. Benoit, et en particulier à St-Vanne : l'hospitalité dut être exercée dans un bâtiment faisant partie du corps du monastère. Quoi qu'il en soit, ce fut un bienfait pour Verdun : à partir de cette fondation en effet, les passants, les pèlerins, les pauvres et les malades furent accueillis et secourus dans trois établissements placé dans trois quartier différents, aux abords même de la ville : l'aumônerie de l'évêque et du chapitre de la cathédrale, l'hospice St-Vanne et celui de St-Paul. Bientôt nous verrons qu'un quatrième établissement fonctionne dans un quatrième quartier, de telle façon qu'on ne peut plus entrer dans la ville ni en sortir, sans rencontrer ces bienheureuses maisons.

L'aumônerie de St-Paul, dont les biens furent confirmés par l'évêque Bicher, n'eut pas une aussi longue durée que celle de St-Vanne ; les désordres, qui souillèrent, le monastère au XIIe siècle et donnèrent l'occasion d'y établir des Prémontrés (1135), exercèrent sur elle une influence néfaste. A peine ces Prémontrés y furent-ils installés, qu'ils durent pour acquitter les charges dont le couvent était grevé, engager un moulin de l'hospice; un jugement rendu par le métropolitain de Trèves fit bien rentrer cette propriété dans le domaine de l'abbaye, mais à la fin du même siècle, il n'en résultait pas moins que l'hospitalité ne pouvait plus être exercée à St-Paul par suite du malheur des temps. Il est extrêmement probable qu'elle n'y fut plus reprise : la fondation de St-Nicolas de Gravière, dans le voisinage de St-Paul, semble avoir répondu à un besoin et avoir été instituée pour rendre des services que l'abbaye n'était plus en état de donner.

 

IV. Hôpital St-Nicolas de Gravière

Le XIIe siècle fut vraiment une époque glorieuse pour la charité chrétienne : c'est alors qu'on s'apitoya le plus sur le sort des pauvres, et qu'un grand nombre d'hôpitaux furent érigés, c'est de celte époque que date le commencement de la période la plus brillante de leur existence. La foi était ardente, et grande était la commisération pour les malheureux et les infirmes. Deux exemples fameux s'en montrèrent dans la ville même de Verdun. Le doyen de la cathédrale, Guillaume, qui vivait sous les évêques Ursion et Albéron de Chiny (1130 - 1155), n'était pas seulement grand amateur de beaux livres : il était encore plus adonné aux pratiques de charité. « Oui est plus zélé que lui, dit Laurent de Liège, pour le service de Dieu ? Qui plus que lui montre d'ardeur aux devoirs de l'hospitalité ? Sa maison paraît aujourd'hui l'asile et le refuge des serviteurs de Dieu. » Plus compatissants que lui encore étaient ses contemporains Constance et Effice. «Constance, dit le même chroniqueur, chétif de corps, mais d'une âme élevée, d'un cœur noble et d'une foi vive, était né dans la plus grande pauvreté. Arrivé à l'opulence, il dépensa toutes ses richesses en bonnes œuvres. Nombre de lépreux, objet d'horreur pour les autres, furent recueillis dans sa maison, où lui et sa femme Effice, vraiment consacrée au service de Dieu, les lavaient, les habillaient et les nourrissaient ; il rebâtit deux fois en bois et une troisième fois en pierre le pont de Gravière sur la Meuse et y fit passer la voie publique ; il construisit des hôpitaux pour les pauvres et les dota de revenus ; enfin, il commença lui-même à édifier à grand frais l'œuvre de la cathédrale. » L'un des hôpitaux, élevés par ce généreux serviteur de Dieu, reçut les malades et les pauvres passants qui ne pouvaient plus trouver de refuge dans l'aumônerie de St-Paul : ce fut St-Nicolas de Gravière, qui dut obtenir de son fondateur une riche dotation. Au XIIIe siècle, en effet, c'était l'hôpital le plus important  de la ville, au point que le 11 mai 1213 la Maison-Dieu St-Sauveur, pourtant plus ancienne, s'y affiliait. On sait peu de chose sur les dispositions matérielles de cet établissement. L'église aurait été terminée dès 1281 ; mais de cet édifice, comme des autres bâtiments, il ne reste plus que quelques vestiges près de la porte Chaussée et des remparts de la ville. En 1670, on verra plus loin dans quelles circonstances, les Jésuites s'y installèrent et y établirent leur collège. Tout fut reconstruit au X VIIIe siècle, et une nouvelle église édifiée en 1730.

On sait peu de chose sur les dispositions matérielles de cet établissement. L'église aurait été terminée dès 1281; mais de cet édifice, comme des autres bâtiments, il ne reste plus que quelques vestiges près de la porte Chaussée et des remparts de la ville. En 1670, on verra plus loin dans quelles circonstances, les Jésuites s'y installèrent et y établirent leur collège. Tout fut reconstruit au XVIIIe siècle, et une nouvelle église édifiée en 1730.

L'étendue des revenus de St-Nicolas de Gravière ne nous est pas connue au juste ; cependant il est facile d'en retrouver quelques traces. En 1213, Liétard de Watronville, « qui choisit, dit la charte, de vivre humble et pauvre en la Maison-Dieu », lui donna une rente annuelle de deux reds de froment. En 1223, les frères de St-Nicolas étaient en possession du domaine de Thil  ; avant 1266, Renaud «Maindestre », chevalier, avait ajouté à ce qu'ils avaient déjà, tous les droits qui lui appartenaient en l'église de Thil et d'Azannes, et en particulier le patronage de la cure et le tiers de la dîme ; de plus, toujours antérieurement à cette date, ils avaient acquis de Nicolas et Raoul Mouton, chevaliers de Fromeréville, la sixième partie de toutes les rentes et de tous les profits de la même église. En 1223, une dame Wibourt leur léguait un jardin à Villers-sur-Meuse ; en 1276, ils possédaient un cens de 4 setiers de vin à Thierville ; en 1280, ils transigeaient avec l'abbaye de St-Vanne, au sujet d'un moulin qu'ils venaient de construire dans le voisinage de Glorieux ; en 1293, ils vendaient une maison dans le Châtel à Jean de Metz, chanoine de Montfaucon et chapelain de Ste-Catherine en la cathédrale. Le chanoine de la Madeleine, Nicolas de la Porte, qui n'oublia aucun établissement hospitalier dans ses dispositions testamentaires, leur légua, dans les premières années du X IV e siècle, un cens de 8 sous sur une maison en la rue de Ripe, et leur demanda en retour un service anniversaire chaque année. C'est, ce que leur réclama encore eu 1404 Clémence citaine de Verdun et femme d'Habin le Drapier, qui leur laissa une rente de 4 setiers de vin sur une vigne en Epiloux et une maison avec grange et jardin dans la rue des Parcheminiers. Ils possédaient aussi au X IV e siècle une maison, avec très probablement un domaine, à Regnéville  et une vigne à Bouillère, côte St-Michel. L'Estât du revenu du collège de Verdun en l'an 1615  mentionne comme propriétés venant de l'hôpital trois maisons en la rue Chaussée, un gagnage sur le territoire de Verdun, un grand jardin au faubourg Chaussée, un grand et un petit gagnage à Regnéville, d'autres gagnages à Thierville, Wamaux, Charny, Champneuville, Samogneux, Maljouy, les Roises, sans compter des rentes et cens en différents lieux. Quant au domaine de Thil, engagé irrégulièrement à la fin du XV e siècle pour 700 petits florins, par deux ou trois frères de l'hôpital qui l'administraient, à Robert de la Marck, seigneur de Sedan et de Jametz, il fut annexé à cette dernière seigneurie et perdu sans retour pour les pauvres. C'est en vain que les évêques Psaulme et Bousmard protestèrent contre une pareille aliénation, cette magnifique propriété n'en passa pas moins dans la maison de Lorraine en 1589, après la prise de Jametz par le duc Charles III. Toutes ces possessions font supposer un hôpital richement doté et en mesure de rendre d'importants services aux indigents et aux malades. La plupart de ces biens devaient lui appartenir depuis le X IV e siècle au moins : après cette époque l'on sent en effet un grand relâchement se faire dans la charité et les donations en faveur des hôpitaux deviennent de plus en plus rares.

St-Nicolas de Gravi ère était administré par une congrégation religieuse, vivant d'abord sous une certaine règle, qui aurait été confirmée par Raoul de Thourotte en 1225, puis sous la règle de St-Augustin qu'elle avait choisie, et qui lui fut concédée par le pape Innocent IV et par l'évêque élu Jean d'Eix, en 1248, L 'étude de l'hôpital St-Sauveur fournira l'occasion de montrer qu'elle était cette organisation, et quelles étaient les personnes admises à se faire soigner dans cet établissement. Plus tard enfin, nous verrons quels furent les projets de Nicolas Psaulme à son égard, avant l'installation des Jésuites et de leur collège.

V. Hôpital St Sauveur. Confrérie Ste Catherine. Hôpital Ste-Catherine.

L'hôpital St-Sauveur, situé sur la voie romaine conduisant de Verdun à Metz, a dû être édifié de très bonne heure. On a fait remonter son origine au VIe siècle et l'on a prétendu que c'était S. Airy lui-même qui l'avait établi dans sa maison paternelle. Le fait, sans être impossible, n'est nullement prouvé. Tout ce que l'on sait de certain, c'est que cet évêque bâtit, dans le voisinage du lieu où fut élevé plus tard St-Sauveur, une église consacrée à S. Martin, où lui-même eut sa sépulture. Cette église fut elle-même transformée en abbaye bénédictine sous le vocable de S. Airy, par l'évêque Raimbert. La construction de ce monastère commença en 1087, pour se terminer en 1082 ; mais alors il fallut assurer le service religieux pour toute cette partie de la ville, à qui l'on venait d'enlever son église paroissiale. L'évêque Thierry fit donc élever une autre église en l'honneur de Dieu, Sauveur des hommes, que Richer, successeur de Thierry, organisa définitivement en 1093 ; il en donna les revenus à St-Airy et c'est ce monastère qui eut la collation de la cure. Cette charte de 1093 est importante en tant qu'elle nous décrit la situation du nouvel édifice : il est bâti, dit-elle, entre deux ponts de pierre de la Meuse, le long de la voie publique qui traverse la ville et près de la porte de l'église et de la maison de pierre où sont soignés les malades. Voilà donc désigné, à l'emplacement, même qu'il occupera toujours, l'hôpital, qui plus tard, à cause de son voisinage, portera le nom de Maison-Dieu St-Sauveur.

On a dit que c'est l'hôtellerie ou aumônerie de l'abbaye de St-Airy qui a pu lui avoir donné naissance. C'est là une opinion qu'il faut rejeter : l'hôpital est plus ancien que le monastère, et c'est, ce qui explique pourquoi celui-ci n'eut pas de bâtiments spéciaux affectés à la réception des pèlerins et des infirmes. A qui faut-il alors en attribuer la fondation ? C'est là un point qu'il faut se résigner à ne jamais éclaircir : toutes les suppositions que l'on peut faire, ne sont que des hypothèses ne reposant sur aucun fondement sérieux.

Pendant le cours du XIIe siècle, il n'est pas une seule fois fait mention dans les actes de l'hôpital St-Sauveur. Il est certain qu'il dut être sinon complètement détruit, au moins fort éprouvé par la guerre qu'Henri de Winchester et Renaud de Bar soutinrent contre les Verdunois (1119 -1120); leurs troupes en effet incendièrent tout le quartier de la ville où se trouvaient les églises de St-Sauveur, St-Pierre, le Chéry et de St-Airy. Mais il se releva de ses ruines, peut être difficilement, et continua à vivre et à prospérer. Il semble même avoir subi une réorganisation complète en 1213, époque à laquelle il reconnut St-Nicolas de Gravière comme maison maitresse. Par conséquent, en 1248, quand ce dernier hôpital prit la règle de S. Augustin, celle-ci fut aussi en vigueur à St-Sauveur.

Les bâtiments qui composaient l'hôpital aux XIIIe et XIVe siècles ont disparu presque tous, pour faire place à des constructions beaucoup plus modernes. Ils touchaient au mur de ville, et le jardin qui en dépendait était situé au-delà des remparts : de beaux fragments de cette muraille se voient encore aujourd'hui dans la propriété de l'hospice Ste-Catherine. Quant à la chapelle, elle fut bâtie à nouveau dans la première moitié du X IV e siècle, comme on peut s'en rendre compte encore par la seule inspection de l'architecture : malheureusement elle a été honteusement dégradée, d'abord en 1672 par un plancher plafonné qui vint la couper dans sa hauteur, pour donner un grenier supplémentaire à la maison. Ce fut ensuite en 1789, quand on enleva la toiture et on démolit les murs collatéraux, pour les réédifier selon les plans de l'ingénieur Lebœuf. Le clocher qui la surmonte date de 1753.

Ces reconstructions successives ne permettent plus aujourd'hui de se figurer quel était l'état de l'hôpital, à l'époque de sa splendeur, au temps de Philippe-le-Bel par exemple. C'est d'autant plus regrettable que le moyen âge avait adopté dans la plupart des constructions de ce genre des dispositions ingénieuses, q u 'il aurait été intéressant de retrouver ici. Un type de salle a déjà été décrit à l'occasion de l'hôpital de St-Vanne, qui présentait cet avantage de donner un cube d'air énorme ; souvent à l'extrémité de ce vaisseau était une petite chapelle placée de telle façon que les malades pouvaient de leur couche suivre les offices. Autre part, la salle d'une seule nef contenait des cellules en boiseries, dont chacune renfermait un lit ; ces alcôves étaient dominées par des galeries latérales, qui permettaient de les aérer et d'en surveiller Pinte rieur. Quelquefois encore ces alcôves étaient remplacées par des chambres avec fenêtres, qui permettaient aux « gisants » de voir la campagne et de jouir des premiers rayons du soleil levant. Certes, la charité était aussi ingénieuse et aussi habile à Verdun que partout ailleurs, et nous sommes certain que les pauvres gens y étaient reçus dans des bâtiments commodes et élégants : d'ailleurs, ce qui reste de l'église de l'hôpital a un assez joli style et une assez bonne disposition pour nous en convaincre. Ajoutons enfin, pour terminer ce que nous avons à dire sur les bâtiments de la Maison-Dieu St-Sauveur, que dans l'église du XIV e siècle se trouvaient au moins deux chapelles ; l'une, dédiée à Ste-Catherine, est mentionnée en 1383  ; l'autre était sous la protection de Notre-Dame : la citaine Jeanne Luxelate demanda, en 1344, à y être enterrée au-dessus de sa mère et y fonda son anniversaire.

St-Sauveur reçut de nombreuses donations et posséda dès le XIVe siècle un domaine assez étendu. A cette époque, l'hôpital avait un gagnage à Champneuville, des prés à Dieue  et à Dugny, ceux-ci légués en partie par Pons de Mirebeau, des terres à Dugny et Belleray, des prés à Génicourt, un gagnage à Fromeréville, un autre à Haudainville, dont quelques terres avaient été données par Isabelle, veuve de Jacquemin le Potier ; il jouissait encore d'un magnifique gagnage à Hautecourt et Abaucourt, qui s'était accru par les multiples acquisitions opérées depuis 1256, et par la donation du bois de Renaudin Poincevair en 1394  ; plusieurs maisons lui appartenaient à Verdun, parmi lesquelles celles qui lui furent cédées en 1238 et 1270 par Renard de Tilly  et Jacques, prêtre de St-Maur, ainsi qu'un gagnage près de la porte St-Victor et une certaine quantité d'autres terres et jardins près de la ville. Il possédait aussi des grosses et menues dîmes à Ambly, acquises en 1233, à Joudreville, Bouligny et Armemont, que le prévôt de Bar lui avait vendues en 1240, d'autres dîmes à Eix depuis au moins 1213, à Malancourt et Haucourt dès 1241, des cens à Haudainville, Hautecourt (légués par Simonin Pied d'Argent), Thierville et Verdun. Ces derniers étaient très importants : ils portaient surtout sur des maisons et des vignes ; beaucoup avaient été donnés principalement par disposition testamentaire. Nous relevons ainsi, parmi ces bienfaiteurs des pauvres, les noms d'Isabelle femme Marcat en 1298, Nicolas de la Porte, chanoine de la Madeleine, Simonin Lainon en 1303, Isabelle du Poncel en 1304, Jeannet Figuier en 1308, Jeannesson de Jouy en 1312, Marguerite « li Vane » et Colin Girardin en 1316, Poincignon le Bouvier en 1322, Margeron veuve Jacquemin Tullin en 1334, Jeanne Luxelate en 1344, Françoise veuve Poincin en 1346, Husson Fouqueux, Perrignon Quarrure, Lendet et Jean Dubois en 1349, et enfin Euderonne, femme le Gentil en 1383.

Aux revenus que l'hôpital tirait de ces propriétés, il faut ajouter encore quelques droits et quelques redevances, qui pour n'être mentionnés qu'à une époque récente, n'en paraissent pas moins remonter à l'époque du moyen âge, où des établissements semblables possédaient les mêmes avantages. A St-Sauveur revenaient donc les amendes prononcées par les tribunaux, et le profit du privilège de vendre de la viande pendant le Carême. Les Hôtel-Dieu de Paris et de Metz recevaient aussi le produit des amendes et des biens confisqués judiciairement. Celui de Metz, placé directement sous le patronage et l'administration de la municipalité, devait à cette situation exceptionnelle de nombreux droits, que l'on ne trouve pas établis à Verdun en faveur des hôpitaux, mais qu'il est intéressant de signaler ici pour montrer ce qui avait lieu dans une ville voisine : c'étaient les quartages et coupillons (droits de mesurage des solides et des liquides), les redevances pour le passage des ponts et les habits des morts, la faculté de vendanger à volonté, le tonlieu du « franc-métier », le droit du pesage des laines et le privilège exclusif de fabriquer et de vendre toute espèce de boissons excepté le vin.

Les biens de l'hôpital St-Sauveur étaient administrés, comme ceux de St-Nicolas de Gravière, par une congrégation religieuse, dont le caractère est bien connu. Il a été dit plus haut que la règle de S. Augustin était suivie dans ces deux maisons, au moins depuis 1248. La constitution, que conformément au bref d'innocent IV, leur donna l'évêque élu de Verdun, Jean d'Eix, ne nous est pas parvenue ; mais on en possède un certain nombre d'autres édictées au XIIIe siècle pour des hôpitaux situés en différentes régions, qui par leurs points communs fixent des usages absolument constants pour les établissements hospitaliers soumis à celte règle de S. Augustin. C'est d'après cela et d'après les quelques renseignements fournis par des actes administratifs du même temps (acquisitions, baux, donations, etc.), qu'il est facile de se représenter le caractère des maîtres, frères et sœurs des Maisons-Dieu St-Sauveur et St-Nicolas de Gravière.

Celui ou celle qui demandait à servir Dieu dans ses pauvres en renonçant au monde, devait être admit par le maître et la communauté des frères et sœurs. On lui lisait la règle, dont on lui faisait ressortir toutes les austérités. On exigeait qu'il fût de condition libre et sain de toute espèce de maladie : s'il était marié, il était presque toujours obligé de se séparer de son conjoint. Une fois accepté, il faisait un noviciat d'une année et s'instruisait dans ses devoirs : ce temps fini, il prononçait les trois vœux de religion, c'est-à-dire de chasteté, de pauvreté et d'obéissance ; il était nécessaire dans certains hôpitaux, qu'il fût encore présenté à l'évêque et reçût de lui son institution. Le nouveau frère prenait alors l'habit religieux et devait observer les lois indiquées par le règlement, sous peine d'encourir des peines proportionnées à ses fautes : elles consistaient le plus souvent dans le jeûne au pain et à l'eau, et dans ce cas le pénitent mangeait assis par terre ; la plus grave était l'exclusion. La mort elle-même du coupable ne le sauvait pas de certains châtiments, s'il avait contrevenu au devoir de pauvreté, par exemple : si au décès d'un frère ou d'une sœur, on trouvait quelque bien dont il s'était approprié, son corps était traité comme celui d'un excommunié et on ne l'enterrait pas en terre sainte. Les frères et les sœurs vivaient entièrement séparés et ne se trouvaient ensemble qu'au moment de la tenue des chapitres hebdomadaires et des exercices religieux : leur réfectoire, leur dortoir, leur infirmerie étaient distincts et il était expressément interdit aux uns de fréquenter les autres. La récitation des offices quotidiens leur était imposée, outre cela la confession et la communion fréquente ; de plus ils devaient faire abstinence, en dehors du temps du Carême et de l'Avent, quatre jours par semaine. Plusieurs frères même recevaient les ordres, et il n'est pas rare d'en trouver des exemples dans les actes qui intéressent St-Nicolas de Gravière et St-Sauveur : en voici un dans l'autorisation que l'évêque Jean d'Apremont accorda en 1223 aux frères de St-Nicolas de choisir parmi eux celui qu'ils voudraient,  pour desservir la cure de Thil.

Chaque semaine, la communauté se réunissait en chapitre, et d'une part les frères, d'autre part les sœurs étaient obligées de se confesser publiquement des fautes commises.  Les assistants avaient même le droit de rappeler à chacun les péchés qu'il omettait d'accuser. Le secret le plus absolu était d'ailleurs exigé de toutes les personnes présentes. On s'y occupait encore de toutes les affaires intéressant la maison ; plusieurs fois par an, le frère ou la sœur chargée des comptes indiquaient les recettes et les dépenses.

Le chapitre se réunissait sous la présidence du maître, qui était ordinairement nommé à l'élection par la communauté, choisi parmi les frères les plus anciens, et présenté ensuite à l'évêque. A St-Sauveur de Verdun, dès la seconde moitié du XIVe siècle au moins, le maître, semble-t-il, était nommé pour quelques années seulement et non pas à vie, comme cela avait lieu presque partout ailleurs. Dans la liste des maîtres qui ont administré l'établissement, voici l'exemple le plus caractéristique : Jeannin Adam, maître de 1422 à 1429, fit place de 143o à 1433 à Jean Gowet ; il était de nouveau à la tête de la communauté le 26 juillet 1343; mais Pierre Petitpas lui avait déjà succédé le 5 août de la même année, et celui-ci était encore remplacé par Jean Cowet de 1439 à 1451. Aucune raison de ces changements n'est, indiquée par les documents : peut-être cette mesure avait-elle été adoptée pour empêcher le maître de considérer sa charge comme un bénéfice inamovible et de regarder le domaine de l'hôpital comme son bien propre ; peut-être encore cela tenait-il au nombre très limité des frères de la Maison-Dieu St-Sauveur. D'ailleurs, les règles édictées au XIIIe siècle avaient eu pour premier effet de réduire considérablement le personnel admis à soigner les malades et de donner ensuite un rôle prédominant aux femmes, que l'on reconnaissait déjà plus aptes à cette besogne. Si le supérieur de l'établissement fut toujours choisi parmi les frères à Verdun, ceux-ci furent en revanche très peu nombreux : en général, à St-Sauveur, ils ne furent que deux,  outre le maître ; quelquefois même un seul est mentionné dans les actes, Le maître et les deux frères se partageaient donc l'administration : le premier avait surtout la surveillance générale, accordait les permissions de sortir pour les besoins de la maison, présidait au réfectoire et au chapitre, infligeait et levait les pénitences et faisait instruire ceux qui se présentaient comme novices ; quant aux autres, ils géraient les propriétés, tenaient les comptes, etc. St-Nicolas de Gravi ère, étant plus riche, dut avoir beaucoup plus de frères. Nous savons en effet que vers la fin du X V e siècle, le maître en envoyait en résidence dans les fermes de l'hôpital : voilà pourquoi les deux ou trois personnes, qui administraient les propriétés de Thil, ne voulant pas obéir aux injonctions de leur supérieur qui les rappelait, purent engager les biens de l'hôpital à Robert de la Marck.

A St-Sauveur, comme à St-Nicolas de Gravière, c'était au nom du maître et des frères, et quelquefois du maître, des frères et des sœurs, que se passaient tous les actes intéressant la Maison-Dieu. La communauté avait un sceau, que le maître appliquait au bas des contrats.

L'évêque, qui surtout au XVIe siècle apparaît comme le véritable supérieur des hôpitaux de Verdun, devait exercer lui aussi dans les temps plus anciens, un certain contrôle sur leur administration : il avait assurément le droit de visite et le droit de nomination du maître et des frères sur présentation ; c'était très probablement à lui qu'il fallait présenter les comptes approuvés en chapitre. En tout cas, les documents manquent presque complètement, et l'on est réduit sur ce point à ce qu'enseignent les constitutions d'autres établissements similaires. L'exemple de St-Nicolas de Metz ne peut cependant pas être ici de quelque utilité : c'était en effet la municipalité qui avait la haute main sur sa direction, surtout depuis la réunion des biens de la maladrerie (1284).

Le maître de St-Sauveur et de St-Nicolas de Gravière, et souvent un ou plusieurs frères, étaient prêtres : on l'a vu précédemment. Ils étaient chargés, concurremment avec le chapelain, du service religieux de la maison. Il ne faut pas oublier que ce n'était pas une sinécure : la visite et la confession des malades, les offices auxquels assistaient les frères et sœurs, les anniversaires fondés, etc. ne pouvaient pas toujours être à la charge d'un seul. St-Sauveur avait une église dès le XIe siècle et St-Nicolas de Gravière possédait aussi la sienne au XIIIe. Ces deux établissements eurent-ils leur chapelain à l'origine ? St-Nicolas de Gravière peut-être, mais St-Sauveur certainement non. C'étaient les curés de la paroisse voisine qui venaient le desservir, et ce ne fut qu'en 1238 que l'évêque Raoul de Thourotte permit aux pauvres et aux frères de cet hôpital d'avoir un prêtre, qui célébrerait chez eux l'office divin et administrerait les sacrements. Ce chapelain devait être élu par la communauté des frères et présenté à l'ordinaire qui lui conférait ses pouvoirs : il avait à dire sa messe le matin dans la chapelle de l'hôpital, avant ou après la messe paroissiale dans l'église St-Sauveur. Il pouvait célébrer l'office des morts pour les personnes mortes dans la maison, mais il fallait que celles-ci fussent enterrées dans le cimetière de la paroisse. De plus, il lui était défendu de rien garder des oblations faites à l'autel ; les offrandes devaient accroître le patrimoine des pauvres et servir surtout à leur pitance. L'évêque prescrivit enfin que la chapelle de l'hôpital n'aurait pas de cloche pour convoquer les fidèles ; une seule clochette serait dans la maison à l'usage des frères et des sœurs.

Bien souvent l'institution du chapelain dans un Hôtel-Dieu était une source de contestations avec les curés des paroisses. Il faut dire aussi que l'hôpital ne se contentait ordinairement pas des privilèges qui lui avaient été concédés, et qu'il ne tenait nul compte de l'interdiction d'un cimetière spécial ; que le chapelain lui-même disait des messes pour les fidèles du voisinage, mariait ceux qui se présentaient devant lui, entendait les confessions, exerçait enfin tous les droits curiaux. C'est ce qui arriva à Verdun, où dès 1302, le monastère de St-Airy et les prêtres de la paroisse St-Sauveur s'adressèrent à l'official pour faire défendre au maître et aux frères de la Maison-Dieu de recevoir les oblations des paroissiens, d'établir un cimetière, etc. La sentence de l'official n'enleva pas à ceux-ci tous les avantages dont ils s'étaient emparés, sans cela l'évêque Nicolas de Neuville n'aurait pas reconnu en 1807 que, les chapelles de l'église de l'hôpital ayant été canoniquement consacrées par son prédécesseur Jean II d'Apremont, il était licite d'y enterrer les défunts. Cette autorisation fut mise à profit : en 1344, une bienfaitrice de St-Sauveur demandait à reposer dans une de ces chapelles, où était déjà le corps de sa mère.

Les hôpitaux au moyen âge n'étaient pas spécialisés comme aujourd'hui : ils recueillaient des malades, des vieillards, quelquefois les enfants abandonnés, et presque toujours les indigents de passage qui s'y réfugiaient pour passer la nuit. Dans les plus riches, toute personne, portant « l'enseigne de pauvreté et de misère», était reçue, quelle que fût son âge, quelle que fussent sa nationalité et sa religion. « Peu importait le Dieu qu'ils servaient, la maladie qui les accablait ; seuls les lépreux étaient repoussés ; il n'était pas jusqu'aux aliénés et aux syphilitiques qu'on n'accueillît.» Tel pouvait être St-Nicolas de Gravière, qui avait une dotation superbe et d'importants revenus. Mais St-Sauveur devait suivre l'exemple d'autres établissements moins fortunés, comme ceux de Pontoise, Angers, Troyes, Tournai, qui se trouvaient obligés de refuser leur porte aux infirmes incurables, tels que les boiteux et les aveugles, et aux enfants trouvés, dont les charges auraient grevé leur budget. Cependant, dans ces mêmes hôpitaux, on recevait tous les malades, sans tenir compte de leur pays d'origine et sans écarter ceux qui n'étaient pas de la ville ou du diocèse. On y admettait également de pauvres femmes en couches, et si celles-ci venaient à succomber, leurs enfants étaient gardés dans la maison et nourris jusqu'à un certain âge. On distribuait enfin des aumônes aux passants et aux pèlerins.

Quand un malade voulait entrer dans l'hôpital, il était obligé en premier lieu de se confesser, et s'il était nécessaire, il communiait. Puis, on lui lavait les pieds et les mains et on le portait au lit qui lui était destiné. Dès lors les règlements en usage dans tous les Hôtel-Dieu sans exception prescrivaient qu'il serait servi comme le véritable maître et seigneur de la maison, qu'il prendrait ses repas avant la communauté des frères et des sœurs, qu'on lui donnerait à manger tout ce qu'il désirerait, sauf ce qui lui serait nuisible et ce qui serait impossible à se procurer. Les prêtres devaient le visiter souvent et lui apporter les consolations spirituelles. Quand il avait recouvré la santé, il restait encore dans l'hôpital pendant sept jours, pour éviter tout danger de rechute. Son mal venait-il à s'aggraver, on le transportait aussitôt dans une salle spéciale, où des soins plus dévoués lui étaient donnés. Des sœurs et des servantes veillaient la nuit dans les salles de malades, où brillait toujours une lumière, « afin d'adoucir aux pauvres patients la longueur des nuits passés sans sommeil. » Une pharmacie était quelquefois annexée à l'hôpital : de Metz on allait acheter les médicaments jusqu'aux foires de Lyon, d'Anvers et de Francfort.

Outre le maître, les frères, les sœurs et les servantes, outre les pauvres infirmes et les « gisants » assistés par l'hôpital, la population de St-Sauveur comprenait encore une certaine catégorie de personnes : c'étaient les prébendiers. L'institution des prébendiers était aussi assez en faveur à l'hôpital St-Nicolas de Metz, où ils ne furent jamais cependant bien nombreux ; à l'Hôtel-Dieu de Paris, il y en avait également, on les appelait les familiers. Les admissions avaient lieu en vertu d'un contrat par lequel le maître et les frères promettaient de fournir le logis, la nourriture, le bois de chauffage et l'habillement, comme à l'un des frères ou à l'une des sœurs de la maison, et exigeaient en retour une somme d'argent déterminée. En 1238, Renard de Tilly fut ainsi reçu moyennant l'abandon d'une maison au pont du Brachieul ; en 1305, Weirion de Rambluzin et Eudeline, sa femme, cédèrent tout leur héritage, après être entrés sous la seule promesse de le laisser à l'hôpital après leur mort ; en 1310, Catherine veuve d'Eudes de Pierrepont, acheta une prébende en pain, vin et autres aliments, moyennant une somme de 200 livres de petits tournois. A Metz, en 1420 les règlements « exigeaient 120 livres pour une personne âgée de 60 ans, 140 pour un quinquagénaire et ainsi de suite toujours en augmentant de 20 livres par 10 années d'âge en moins ».

Si les prébendiers vivaient comme les frères et les sœurs de l'hôpital, ils n'étaient pas astreints aux mêmes obligations : ils étaient libres de sortir, ils ne portaient pas l'habit religieux, ne prononçaient pas de vœux et n'étaient pas contraints à quitter leur conjoint. A Metz, ils étaient cependant placés sous la surveillance du cellérier. A Paris, ils n'étaient admis la plupart du temps, « qu'à la condition de se rendre utiles, de prendre leur part du labeur commun » ; ils avaient par conséquent à remplir certaines fonctions, comme celles de cordonnier, berger, régisseur de tel ou tel domaine.

La Maison-Dieu St-Sauveur ne se contentait pas d'être le refuge des malades, des infirmes et des petites gens qui y venaient finir leurs jours, elle fut encore dès la fin du XIIIe siècle au moins, le siège d'une confrérie pieuse de laïques, dont le caractère est assez difficile à déterminer, d'autant plus que les villes voisines ne fournissent pas des éléments de comparaison. Si dans le Midi et dans tout le pays de langue d'oc, ces associations furent extrêmement fréquentes, elles paraissent avoir été beaucoup plus rares dans la région du Nord-Est de la France. Elles n'avaient pas toutes le même caractère et ne poursuivaient pas toutes le même but : « les unes, dites de charité, travaillaient avant tout au soulagement des misères physiques dans les classes inférieures de la société ; les autres, de dévotion pure, ne s'occupaient que de prières, de pratiques et de cérémonies du culte ». Les premières intéressent seules ici : quelques-unes avaient été instituées pour rendre les derniers devoirs aux défunts. Par-là elles se rattachent peut-être de loin à ces confréries dont il reste tant de témoignages chez les Romains, et dont les membres s'assuraient une sépulture après leur mort. D'autres, ou bien assistaient les pauvres à domicile, à l'instar des associations placées aujourd'hui sous le patronage de S. Vincent de Paul, ou bien subvenaient aux nécessités des passants. A Paris et à Pontoise, la confrérie de St-Jacques consacrait ses ressources à « héberger les pauvres pèlerins trépassant et autres misérables personnes ». Celles qui s'étaient établies dans l'hôpital St-Gérald de Limoges donnaient des vêtements aux indigents et des linceuls aux morts. Deux confréries existaient à Verdun au XIIIe siècle. L'une, dont nous ignorons absolument le caractère, était placée sous l'invocation de sainte Marguerite ; les membres se réunissaient dans une chapelle qui se trouvait dans une tour de la cathédrale. Elle était parfaitement organisée depuis 1236 au plus tard : elle comptait plusieurs maîtres et des frères, qui sont assez souvent mentionnés dans les documents de cette époque. La seconde de ces confréries, sur laquelle nous ne sommes guère mieux renseignés, mais qui eut certainement un but charitable, avait pris pour patronne sainte Catherine, vierge et martyre, et avait établi sa chapelle dans l'église de l'hôpital St-Sauveur. On la signale pour la première fois en 1298, à l'occasion de la vente d'un cens assis sur une maison devant l'église de St-Victor, faite « ai maitres de la frarie sainte Katherine de la Maison Dieu de St-Sauveur ». Elle apparaît encore en 1311, dans cet acte portant acquisition de cens pour les maîtres et les confrères de cette association, et stipulant que si la confrérie venait à disparaître, la Maison-Dieu représentée par son maître et ses frères hériterait de cette rente. La même clause se trouve dans un autre contrat de 1314, ce qui montre qu'il était sinon dans les statuts au moins dans les intentions de la société, qu'à sa dissolution tous ses biens iraient directement aux pauvres.

Ce sont à peu près les seules données qu'il est possible d'avoir sur ce sujet : elles ne sont guère suffisantes pour expliquer comment l'hôpital St-Sauveur perdit peu à peu son nom et prit celui de cette charitable association. Il y a là un phénomène singulier, qui semble très rare et sur le caractère duquel on est mal fixé. On ne peut que suivre les progrès de cette appellation de Ste-Catherine donnée à la Maison-Dieu : c'est d'abord en 1428, dans un acte qui parle de l'« hospital Ste-Catherine ou Maison Dieu delez l'église parrochial de St-Saulvour » ; en 1433, puis en 1435, où il n'est plus même fait mention du voisinage de l'église, et où apparaissent le maître et les frères de l' « ospital Ste-Katherine »; en 1439  ; en 1442, où l'on indique que l'hôpital Ste-Catherine est situé dans la Grand-Rue de Verdun ; en 1459 à propos d'un acensement consenti par « reverend en Dieu, seigneur Symon du Buisson... hospitalier, administrateur et gouverneur de l'ospital et Maison Dieu Ste-Catherine près de St-Saulveur de Verdun » ; enfin, en 1467. Il faut remarquer que pendant le même temps le nom seul de St-Sauveur est encore employé, mais après 1467, il disparaît complètement pour faire définitivement place à celui de Ste-Catherine. C'est donc de celui-ci qu'on usera désormais dans la suite de cette étude. Doit-on croire que les maîtres et frères de la confrérie se soient substitués peu à peu à l'administration de l'hôpital et aient occasionné ainsi ce changement? Ce n'est pas probable : il suffit en effet de ne pas oublier qu'à la tête de la première se trouvaient au moins deux maîtres, tandis qu'il n'y en a jamais eu qu'un seul dans la Maison-Dieu.

Il est encore une modification à signaler pour la même époque : il s'agit de la suppression des anciens maîtres et frères de l'hôpital St-Sauveur, qui furent remplacés vers le milieu du XVe siècle par des gouverneurs nommés par l'évêque et administrant seuls sous son contrôle. Ce fut d'abord le maître qui disparut après 1451 avec Jean Cowet. En 1456 l'évêque de Panéas, Simon du Buisson est gouverneur de l'hôpital Ste-Catherine, mais deux frères sont encore auprès de lui, et ce sont ceux-ci, qui en 1467 exercent conjointement cet office, sans que l'un soit élevé au-dessus de l'autre. En 1496 il n'y a plus de frères, et messire Jean de Courcelles, dit de Bouquemont, gouverneur au nom de l'évêque, passe tous les actes intéressant la maison. Il en sera de même jusqu'à la réforme de Nicolas Psaulme : de l'ancienne congrégation soumise à la règle de S. Augustin, qui avait rendu tant de services aux XIIIe et X IV e siècles, il ne restera même plus les sœurs : l'état des revenus de l'hôpital dressé en 1558 mentionne seulement l'existence d'une chambrière, dont les gages étaient de 8 francs par an. On verra plus loin dans quelle décadence était alors tombée Ste-Catherine : il était grandement temps que Nicolas Psaulme vînt réparer les désastres amenés par le malheur des temps et la mauvaise administration des gouverneurs.

 

VI. Hôpital Saint-Jacques.

C'est celui sur lequel on a le moins de renseignements ; la raison en est qu'il a été désaffecté en 1590 au profit des religieux de Châtillon, qui sont venus s'établir dans ses bâtiments. Il est impossible de savoir à quelle époque et même à quel siècle remonte sa fondation ; cependant, il est fort probable qu'elle ne peut avoir eu lieu au plus tôt que dans la seconde moitié du XIV e. En effet, on ne trouve son nom dans aucune des donations si nombreuses antérieurement à cette date ; pas un testament de ces généreuses personnes, qui n'oubliaient aucun établissement charitable de la ville, ne le mentionne. On a seulement la preuve de son existence en 1459. Il était situé en la rue de Rue, à l'endroit où est maintenant la maison d'arrêt. Ses propriétés étaient relativement peu considérables : lors de la réforme des hôpitaux en 1558, ses revenus consistaient en 60 francs, 8 reds de froment et 38 setiers de vin. Il est vrai qu'il ne faut guère se baser sur ces chiffres, pour apprécier l'étendue et l'importance des propriétés, puisqu'alors le magnifique domaine de St-Nicolas de Gravière ne rapportait que 153 francs en argent. Dès 1459 St-Jacques possédait une maison avec grange et jardin à Ippécourt ; en 1495, le gouverneur baillait à ferme le pré Avuise d'Osches, d'une contenance de 10 fauchées ; d'autres propriétés à Ippécourt rapportaient 3 reds de froment en 1520. Si l'on consulte les comptes du receveur de ce même hôpital au commencement du X V IIe siècle, alors qu'il ne semble pas qu'il se soit ajouté de nouvelle dotation depuis une centaine d'années, on relève encore des cens de maisons dans plusieurs rues de la ville de Verdun, des champs et gagnages à Glorieux, C hattancourt, Thierville, Ippécourt, des prés au P ré-l'Evêque, à la Morte-Meuse, à Osches, Maucourt, sans compter les renies en vin . Quand les bâtiments de l'hôpital furent donnés en 1590 aux religieux de Châtillon, ils étaient grevés d'un cens de 12 gros et 10 blancs en faveur de l'abbaye de St-Vanne et du trésorier de l'église Ste-Croix.

L'administration de St-Jacques était la même que celle qui dirigeait l'hôpital Ste-Catherine à la fin du X V e siècle : c'était un gouverneur qui gérait les biens et passait tous les actes. Aucune mention n'est faite de frères assistants ni de sœurs hospitalières : seule une chambrière était chargée de la garde des malades. Ces gouverneurs, dont on connaît quelques noms : Jean Regnault en 1459, Pierre Couttre en 1495 et Didier Thiérion en 1520, étaient des prêtres nommés par l'évêque et placés sous son autorité et sa surveillance.

 

VII. Les Léproseries : Les Grands et les Petits Malades.

Les lépreux étaient soigneusement exclus des hospices et hôpitaux ordinaires ; cependant si la charité du moyen âge avait dû prendre cette mesure pour éviter la propagation d'un mal affreux et réputé incurable, elle n'avait eu garde de les abandonner. Il a déjà été question ici des guérisons miraculeuses des lépreux opérées pendant sa vie et après sa mort par S. Vanne, « in quo virtus curationis leprae praecipue effloruit ». L'affluence de ces malheureux auprès de son tombeau avait été si grande que, dès 634 au moins, une maladrerie avait été construite près de la basilique de St-Pierre et St-Paul. C'est la seule mention que l'on ait de cet établissement qui dut disparaître de très bonne heure, soit à la suite des guerres et des sièges qu'eut à subir la ville de Verdun, soit lorsque fut élevée l'abbaye de St-Vanne.

La véritable fondation des maladreries verdunoises date de la fin du XIIe siècle. Auparavant les lépreux ne semblent pas avoir été renfermés : Constance et Effice en recueillaient dans leur maison, où ils leur donnaient la nourriture et le vêtement. Il y a de nombreux exemples prouvant que jusque vers l'époque de Louis VII, ils pouvaient à peu près partout circuler librement et vivre dans le monde. Ils n'étaient pas encore l'objet de cette répulsion que l'on remarquera plus tard : les rois mouraient sur leur trône, les nobles conservaient leur fief, les riches vivaient de leurs biens et les pauvres sans autres ressources demandaient l'aumône dans les villes. Il y eut bien quelques maladreries fondées aux Xe et XI° siècles : à Bruges en 919, à Yalenciennes en 10 49, à Cambrai en 1064 ; mais dans le Midi, aussi bien que dans le nord de la France, c'est dans le siècle suivant qu'on en établit le plus souvent. Les lépreux sont enfermés à Avignon avant 1186, à Voley, vers le milieu du X IIe siècle, à Limoges, dans la léproserie noire, en 1140, à Noyon, avant 1188, à Amiens entre 1113 et 1152, à Deleval d 'Orcq, près de Tournai, vers la même époque, à Anvers avant le XIIIe siècle, à Terbanck près de Louvain vers 1197, etc. A Verdun, il en fut de même et dès 1185 on trouve établie une léproserie, celle qui porta le nom des Grands-Malades. Cette maison renferma les ladres connus sous le nom de lépreux près de St-Urbain, elle s'appela encore maladrerie de St-Jean-Baptiste. Elle était située à peu près à l'emplacement du cimetière actuel ; elle était environnée de murs et renfermait, dit M. Charles Buvignier, « une église dédiée à S. Jean-Baptiste, un cimetière, un grand jardin et un cloître qui entourait les cellules des mezeaux.

Les conditions dans lesquelles fonctionnèrent les maladreries, l'époque où elles parurent, l'influence qu'exercèrent toujours les municipalités dans leur administration, semblent faire croire que celles-ci jouèrent le plus grand rôle dans leur fondation et favorisèrent leur établissement, pour la sauvegarde de la santé publique. Faute de documents, il est impossible de rien préciser pour Verdun : il suffit seulement d'indiquer dès à présent que la communauté des citains exerça de bonne heure des droits réels sur les léproseries de la ville, indice d'une part probable d'initiative prise par elle.

St-Jean des Malades avait été richement doté et ses ressources, à la fin du X IV e siècle étaient importantes. « Indépendamment de nombreuses rentes en argent, en grains, en vin et du droit mortuaire dans la cité de Verdun, elles consistaient en 51 fauchées de pré, 178 jours de terre, 14 danrées de vigne, un bois de 177 arpents entre Eix et Damloup, et un autre bois de 20 arpents à Osches. Elles provenaient et du prix élevé des prébendes », qu'achetaient certains lépreux fortunés, « et surtout des magnifiques aumônes qu'avaient dispensées à la maladrerie les familles lignagères et les seigneurs des environs. Le comte Thiébaud de Bar et son frère Renaud, Jacques de Villiers, Jean d'Autrecourt, Odon de Pierre-pont, Gérard de Lonchamps, Geoffroy de Dieue, Bettens de Bulainville, Jarrède de Bras, Viens de Moulainville, les d'Azenne, les de la Porte, les Dumouriez, les Ponjoise, les Boipuix figurent à chaque page de l'inventaire des dons et legs faits en faveur de nos lépreux ». Ces richesses avaient même attiré la convoitise de tous les pillards, qui, sous prétexte de guerre, commettaient vols et rapines : dès 1217, le comte Henri de Bar était obligé de donner à la maison des Malades de Verdun des lettres de protection et de sauvegarde. Ce fut là l'origine de cette garde de Bar, en retour de laquelle les Grands et les Petits-Malades de Verdun devaient dans les premiers temps soigner un chevalier lépreux. Cette charge fut convertie, le 13 mai 1318, en une redevance annuelle de 18 livres de cire payable au prévôt d'Etain. De plus, ces mêmes Malades avaient à fournir au comte « un char bien attelé... pour servir en ses ost et chevaulchies tout et quantes fois qu'il en estoient requis par le prevost d'Estain ou autre de ses officiers », mais en 1398, cette obligation fut complètement annulée. Elle n'avait pas été, il est vrai, sans causer préjudice aux lépreux, car cette même année, ils étaient en instance auprès du duc de Bar pour se faire rembourser du prix « de certains et plusieurs chevaulz qui avoient esté perdus et mors et de plusieurs chevaulx et harnoix que en plusieurs et divers lieux nous aviens perdus par plusieurs foiz en eos et chevauchiez de notre dit seigneur tant en Allemagne comme aultre part, quant nous envoiens nosdits chevaulx et noz cher en sesdits eos et chevaulchiez, au mandement d'icellui seigneur et ses officiers ».

Dès 1215 au moins, la maladrerie de St-Jean des Malades eut une succursale presque au pied de la colline de Haudainville, non loin de la route qui conduit de Verdun à St-Mihiel : les ladres qui y furent renfermés furent désignés sous le nom de lépreux d'Haudainville ou de St-Privat ou les Petits-Malades. La disposition de cette seconde maison était à peu près pareille à celle des Grands-Malades ; si l'on tient compte de son caractère d'établissement secondaire, on s'explique facilement qu'elle dut être moins importante et moins riche en revenus. Cependant elle avait aussi son église, son cimetière et son entourage de jardins. Sans doute, une partie des biens de St-Jean lui fut appliquée au moins à l'origine, pour la subsistance des malheureux qui y reçurent asile ; outre cela elle ' eut aussi sa dotation spéciale, elle eut ses revenus particuliers, beaucoup moins élevés naturellement que ceux de la maison-mère, mais encore assez importants. Sa fondation relativement tardive contribua aussi à la rendre moins riche. Il ne faut donc pas s'étonner outre mesure du peu de prospérité de cette léproserie, au XVe siècle par exemple, lorsque les premiers documents positifs signalent son état de fortune. La protection des comtes de Bar s'étendait sur ses biens comme sur ceux des Grands-Malades ; elle eut aussi sa part au bénéfice du mandement du pape Benoît XII de 1340, prescrivant de faire « ravoir et recouvrer tous les biens et propriété de la maison des Malades de Verdun qui estoient aliénez ». De plus, Martin V et Boniface VIII avaient exempté de la dîme ses immeubles et son bétail. Le Grand-Vendage l'affranchissait de tout impôt municipal ; enfin de par le droit en usage à Verdun, les armes du vaincu en combat singulier lui revenaient.

Le très consciencieux historien des maladreries de Verdun s'est cependant mépris sur le caractère de ces deux maisons. Selon lui, les Grands-Malades étaient « exclusivement réservés aux familles verdunoises, que leur position de fortune mettait à même d'acquitter certains droits d'entrée assez onéreux » ; ne pouvaient y être assistés que les nobles, les citains et les riches bourgeois, qui achetaient une prébende et formaient une communauté de prébendiers. Aux Petits-Malades, au contraire, « point de bénéfice, point de prébende, point de magnifiques aumônes ». La principale ressource des pauvres gens qui devaient y élire leur domicile, était la charité des bons chrétiens ; c'est pourquoi « au XIIIe siècle, il y avait dans la cité une station, où il leur était permis d'implorer la pitié des fidèles, c'était devant le portail St-Airy : pauperibus leprosis qui mendicant ante jan uam Sancti Agerici ». Ainsi donc, d'un côté, les riches jouissant d'un beau domaine et vivant largement des revenus de leur prébende ; de l'autre côté, les pauvres rassemblés dans « de petites cabanes de bois et de boue », et réduits la plupart du temps à mendier. Cette conception est très spécieuse et s'appuie sur des données qui semblent irréfutables, cependant elle ne répond pas, du moins pour les XIIIe et X IV e siècles, à la réalité des faits. Pour l'époque postérieure, elle est assez exacte ; mais il faut démontrer qu'elle pêche en ce qui regarde les premiers temps. Et d'abord, trouve-t-on d'autres exemples que celui-ci de cette distinction tout aristocratique des riches et des pauvres ? Cela répugne à première vue à cet esprit si élevé de charité dont firent preuve nos pères, et à cette discipline toute monastique sous laquelle ils étaient pliés ; mais en dehors de cette raison de sentiment qui n'aurait aucune valeur en présence de faits contraires, il existe des documents qui prouvent qu' « en règle générale, pour ces infortunés morts désormais au monde, il n'y avait plus de distinction entre le noble et le prolétaire ». Cependant on a cité, sans affirmation bien précise, une maladrerie en Dauphiné destinée aux personnes nobles. Une seule eut bien ce caractère : c'est celle qui fut fondée près de Paris pour recevoir les femmes des maisons royales. Il y eut bien encore près des abbayes des maisons spéciales où l'on n'admettait que des religieux, il y en eut bien aussi qui furent uniquement réservées à des ecclésiastiques, à des femmes, aux bourgeois de naissance d'une ville ; mais l'historien des léproseries qui a prétendu que dans une même localité il s'en trouvait de distinctes pour les riches et les pauvres, n'a pu citer que celles de Verdun, et seulement d'après le témoignage de M. Ch. Buvignier. On n'en connaît donc pas d'exemples ailleurs.

La preuve que les Grands et les Petits-Malades de Verdun n'avaient pas dans les premiers siècles la destination qu'on leur a supposée, c'est qu'on retrouve dans l'une comme dans l'autre maison les mêmes personnes, la même organisation, la même administration ; elles avaient de plus entre elles des rapports assez fréquents. Point de prébende dans la léproserie d'Haudainville, a-t-on dit : or, voici que l'inventaire de ses biens, dressé en 1419, indique à la date de 1319, une vente par « plusieurs des malades et prébendiers des Petits Malades ». On possède encore de la même année un acte original, mentionnant les maîtres, frères, sœurs et « prouvendiers de la maison des Petis Malades de Haudeinville ». Point de nobles, a-t-on écrit, dans cette pauvre léproserie composée de misérables cabanes : or, du 13 mai 1318 sont, les « lettres octroiez de M. de Bar de la relevation du chevalier, que les maisons des Grands et Petits Malades souloient soingner ». Les mêmes personnes sont donc admises dans les deux établissements, seulement le premier a une prédominance sur l'autre : il est plus ancien, il reçoit plus de lépreux, il a plus de revenus et plus de charges ; c'est la maison-mère, qui envoie aux Petits Malades, sa succursale, tous ceux, pauvres, nobles, prébendiers, qu'elle ne peut loger et nourrir. Les deux maladreries ont la même organisation, comme il sera montré plus loin ; si elles possèdent chacune leurs maîtres particuliers, elles ont au-dessus d'elles les mêmes gouverneurs généraux, qui prennent le titre de «, maistres, procuro urs et gouvernours des maisons des Grans Malades et dez Petis Malades de Verdun et des appartenances d'icellez maisons », et traitent les affaires qui intéressent l'une et l'autre. On voit même dans certains actes les deux communautés s'unir pour agir de concert : des bulles, des privilèges sont accordés à toutes les deux sans distinction. De plus, dans les quelques testaments originaux qui soient conservés, s'il est fait mention des deux établissements, c'est sur un pied d'égalité, l'un n'est pas traité moins favorablement que l'autre, même par les citains, cette aristocratie de la bourgeoisie verdunoise. Ce point bien établi, il est nécessaire maintenant d'entrer dans les détails d'administration et d'exposer quel était le régime intérieur de ces maladreries. Suivant une règle à peu près générale, dans toutes les léproseries des villes jouissant de privilèges municipaux, la haute main, après avoir appartenu d'abord aux évêques ou à des chapitres de chanoines et au corps communal, était ensuite passée exclusivement à ce dernier, par suite d'usurpations, de contrats particuliers, etc. Ainsi à Gand, Tournay, Mons, Namur, Liège, Bruges, Anvers, Lille, Abbeville, dans tout le bailliage d'Amiens, etc., c'était aux échevins de la ville qu'il appartenait d'en surveiller l'administration et d'instituer des maîtres, supérieurs ou gouverneurs, pris quelquefois parmi les anciens échevins ; ceux-ci choisissaient à leur tour d'autres maîtres parmi les frères de chaque maladrerie, pour les représenter et agir en leur place. Cela fut d'un usage constant dès la fin du XIIIe siècle, même pour les établissements où le pouvoir des évêques ou du clergé s'était d'abord manifesté soit dans la nomination des maîtres, soit dans la promulgation des règlements. Même chose à Verdun : si au début, l'évêque et la municipalité s'entendirent pour l'élection des gouverneurs, un des griefs du premier, lors de ses démêlés avec la cité en 1314, était l'institution d'un « maistre et cellerier en la maison de la maladrerie de Verdun, sans nostre autoritei et sans nostre justice. » Ce à quoi les ci tains répliquèrent qu'ils avaient gouverné la maison depuis si longtemps, q u 'il n'était mémoire du contraire, et « maintiennent encore que li evesque Olry lor y demanda une provende, et si ne li volurent point doner deci a tant que ils eurent lettres que il ne tourneroit a nul prejudice ». C'était donc la municipalité qui choisissait deux ou trois citains, dont l'un "était parfois  un ancien maître échevin, pour être les gouverneurs des Grands et Petits-Malades. Quelle était, la durée de leurs pouvoirs : on ne peut guère le déterminer ; il ne semble pas pourtant qu'ils s'éteignaient l'année révolue, comme cela se passait à Lille, par exemple. Ces gouverneurs avaient la haute direction des maladreries qu'ils devaient visiter, passaient ou confirmaient les actes en leur faveur, recevaient les comptes et finalement nommaient dans chaque maison des maîtres particuliers chargés des détails d'administration.

La population des Grands et Petits Malades se composait d'individus des deux sexes, sains et lépreux, « haitiés et malades », qui formaient dans chaque établissement une communauté à peu près semblable à celle des frères et des sœurs établie dans les Hôtel-Dieu et hôpitaux pour le soin des infirmes et des « gisants. » On est peu renseigné sur les conditions exigées des personnes admises en bon état de santé. Il est probable que leur nombre dut être très limité et réduit aux nécessités du service. En certains endroits, on prenait de grandes précautions contre ceux qui, n'étant pas malades, cherchaient à s'introduire dans la maison, pour y rester ensuite en qualité de frères « haitiés ». Ces frères et sœurs étaient ordinairement choisis par la municipalité, ils recevaient un vêtement religieux et promettaient de servir les malades en personne, de renoncer à toute propriété, de garder la chasteté et d'obéir en tout à leur supérieur. Les fautes et les manquements contre ces trois derniers vœux étaient punis aussi sévèrement que dans les Hôtel-Dieu, par le jeûne, l'expulsion et l'excommunication. D'abord convers et converses, ils devenaient frères et sœurs au bout d'un temps qui variait de six mois à un an. C'était enfin parmi eux qu'était choisi le maître particulier de la maison.

Il était de l'intérêt général que tous les lépreux fussent reconnus et séparés du reste des hommes. Les municipalités avaient donc la mission de rechercher ceux qui étaient affligés de la terrible maladie : les règlements, lois, statuts d'à peu près toutes les villes en donnent l'ordre absolu ; à Bruges et à Liège, par exemple, « nous trouvons organisée une véritable chasse aux lépreux ». Aussitôt qu'un de ces malheureux était signalé, on le conduisait devant l'archidiacre ou devant l'official, comme à Verdun et dans l'archidiaconé de Reims, ou bien dans une léproserie, comme à Metz, Arras, Namur, etc., pour qu'il soit procédé à son examen. Si la maladrerie ne dépendait pas de la municipalité, celle-ci avait encore le droit de demander que ses représentants assistassent à cette reconnaissance. Il n'est pas utile d'entrer ici dans les détails de cette procédure, qui a été fort bien décrite d'ailleurs par M. Ch. Buvignier, comme d'énoncer les caractères auxquels on reconnaissait la lèpre. D'autres auteurs beaucoup plus autorisés l'ont déjà fait. Tous les lépreux indistinctement n'étaient pas reçus dans les maladreries de la cité : en général, leur admission « était subordonnée à la qualité de bourgeois ou de fils de bourgeois. » C'est ce qui avait lieu à Gand, Mons, Lille, Ypres, Bruxelles, Bergues, etc. C'est la condition que mentionne encore Beaumanoir dans ses Coutumes du Beauvaisis. Il fallait au moins un an de bourgeoisie pour avoir droit d'entrée dans la léproserie, et cela ne suffisait même pas toujours : dans quelques localités, comme à Metz, il fallait encore prouver qu'on était né de légitime mariage. Remarquons cependant, que lorsqu'une ville possédait plusieurs maladreries, si l'une de celles-ci n'admettait pas d'étrangers, une autre pouvait dans certains cas en recevoir, en exigeant d'eux le paiement d'un tribut spécial. Ces détails sont nécessaires pour l'intelligence de ce qui se passait à Verdun. En 1220, les étrangers n'avaient pas accès dans les établissements de la cité : c'est ce que prouve ce testament du cartulaire de St-Airy, qui après avoir mentionné la maison des lépreux, lègue une rente annuelle aux pauvres ladres étrangers qui mendient devant la porte de St-Airy, de telle façon que chaque lundi de carême, ils aient à se partager la somme de six deniers (nummi ). A la fin du XIIIe siècle, les citains possédaient seuls l'administration des maladreries, depuis un temps immémorial, disaient-ils. Ces maladreries étaient donc des établissements communaux, où ils avaient la haute main, et dont les avantages devaient être appliqués aux seuls bourgeois de la ville ; ils se réservaient par conséquent le droit strict de disposer des places vacantes et de vendre les prébendes : c'est pourquoi, l'évêque Oury de Sarnay (1271-1273) dut leur donner des lettres de non préjudice, lorsqu'il leur demanda une de ces prébendes, pour la donner à qui bon lui semblait. Si, en règle générale, les bourgeois de Verdun eurent seuls accès dans les léproseries, il y eut cependant quelques exceptions : les religieuses de St-Maur dès 1198, les chanoines de la cathédrale dès 12 15, et les moines de St-Vanne  avaient conclu des traités particuliers avec les administrateurs, qui, moyennant une redevance annuelle payée par ces communautés, étaient obligés de recevoir ceux de leurs membres « entachiez de la maladerye et eulx adm inistrer la prebende comme aux autres malades. »

Le lépreux rem plissait-il les conditions voulues, une cérémonie religieuse précédait, sa réclusion. Un grand nombre de rituels du XVIe siècle ont réglementé tous les détails de cette lugubre prise d'habit, qui ressemblait bien plutôt à de véritables funérailles ; mais on manque absolument de renseignements pour les époques antérieures, et il  n'est nullement prouvé qu'au temps de S. Louis le ladre devait se soumettre à une aussi redoutable épreuve. En arrivant dans la maladrerie, il avait certains droits à acquitter : il lui fallait d'abord, dans la plupart des cas, offrir un past ou dîner de bienvenue aux frères et aux sœurs de la maison ; il était, nécessaire ensuite qu'il apportât avec lui pour son usage personnel, une certaine quantité de meubles, ustensiles de cuisine, linge, etc. qui à sa mort étaient brûlés. En principe, tous les biens du malade revenaient à la léproserie ; mais s'il laissait une famille, une partie de sa fortune lui était réservée ; en plusieurs endroits, il était permis de racheter l'obligation d'apporter tout son avoir, moyennant une somme d'argent assez élevée, destinée à compenser les soins qu'on allait recevoir et la part que l'on prenait dans les revenus de la maison. Si le lépreux était trop pauvre pour subvenir à ces différentes dépenses, c'était la municipalité qui payait pour lui et qui l'entretenait ; quelquefois même, il était obligé d'aller mendier. A Verdun, les prébendiers, dont on rencontre tant de mentions, étaient ces ladres assez fortunés pour acheter leur admission soit dans l'une soit dans l'autre maison. Les documents mis en lumière par M. Ch. Buvignier, montrent que la prébende coûtait un prix relativement élevé : on l'acquerrait tantôt par la remise de tous ses biens meubles et immeubles, tantôt par l'abandon de 5 fauchées de pré et de 30 livres de petits tournois, ou bien encore par le paiement de 80 florins à l'écu, etc. Ceux qui avaient ainsi acquitté des droits fort onéreux, jouissaient en retour de quelques privilèges. Ils ne vivaient pas en commun, et avaient une chambre au moins à part, avec un jardin qu'ils pouvaient cultiver de leurs mains. Ils recevaient une distribution spéciale de vivres, linge, fagots, etc. réglementée très probablement dans la première moitié du XIIIe siècle par une charte épiscopale aujourd'hui perdue : c'était la prébende, qui était plus ou moins forte selon l'état de richesse de l'établissement. Les prébendiers pouvaient encore aller où bon leur semblait, pourvu que ce ne fût pas dans la ville, où il ne leur était permis d'entrer qu'à des jours fixés ; il est presque certain aussi que, de même que dans les Hôtel-Dieu, ceux qui étaient mariés n'étaient pas séparés. Cependant, ils étaient astreints au règlement de la maison et particulièrement à l'obéissance envers le maître ou cellérier. Même aux XIIIe et X IV e siècles, les prébendiers étaient en nombre restreint aux Grands et aux Petits-Malades : la population de ces établissements se composait surtout de frères et sœurs lépreux, qui n'avaient pas eu le moyen d'acquérir ces privilèges et qui vivaient en communauté complète, avec un seul réfectoire et un seul dortoir pour l'un ou l'autre sexe. Ce fut dans le courant du X V e siècle, quand tomba cette institution des frères et sœurs, que se spécialisèrent les Grands et les Petits-Malades, et tout ce que l'on a dit sur le caractère de ces deux établissements s'applique bien à cette époque : les Grands-Malades ne furent plus habités que par les prébendiers et les Petits-Malades que par les lépreux assistés surtout par les fidèles charitables et par les jurés de la ville, qui leur faisaient des distributions mensuelles de vivres. Les ladres des léproseries, prébendiers ou non, formaient, comme il a été dit plus haut, avec les personnes saines une congrégation religieuse : ils en devenaient les membres en qualité de frères et de sœurs, après avoir accompli un temps de noviciat égal au temps exigé des « haitiés. » Ils devaient obéissance aux maîtres particuliers de la maison, qui convoquaient en chapitre toutes les personnes présentes dans l'établissement. Dans ces assemblées se traitaient les affaires communes et les pénitences étaient infligées pour les fautes, dont chaque frère ou sœur s'était rendu coupable. Le chapitre, possesseur d'un sceau, avait même le droit de passer quelques actes, des baux, sans le concours des gouverneurs. En dehors de ces réunions, qui avaient lieu ordinairement chaque semaine, il était rigoureusement prescrit aux frères et aux sœurs de vivre séparément, et aux lépreux de ne jamais franchir le seuil de l'habitation des non malades. Les mézeaux avaient un puits spécial et ils ne pouvaient aller laver leur linge ou puiser de l'eau à une autre source ; l'approche du four, de la cuisine et du jardin communs leur était encore interdite. On a beaucoup écrit sur la capacité civile des lépreux, et il n'est pas utile d'y revenir ici : il suffit de mentionner que les trop rares documents que nous possédons viennent à l'appui de cette vérité, qui devient de jour en jour plus évidente, à savoir que les ladres, sans jouir complètement de tous leurs droits, n'étaient pas en fait morts civilement : ils pouvaient administrer les biens qu'ils conservaient, contracter, recevoir par donation, etc.

Le service religieux dans chaque maison était fait par un chapelain particulier, qui recevait comme rétribution le montant d'une prébende. C'était là le complément de l'institution charitable des léproseries : on avait voulu que les malheureux ladres, qui ne recevaient aucune consolation des hommes, ne fussent pas encore privés des joies spirituelles, si appréciées aux époques de foi du moyen âge. Le privilège pour chacune des maladreries verdunoises de posséder son chapelain remontait au moins au XIIIe siècle. En 1276 en effet, intervenait un compromis dans le débat soulevé entre les Petits-Malades et le curé de Haudainville, qui prétendait avoir seul le droit de visiter les lépreux et de célébrer l'office divin dans leur chapelle. C'est à peu près le seul document intéressant que l'on ait sur ce service religieux, pour la période antérieure à Nicolas Psaulme. Tel fut jusqu'à la fin du XV e siècle l'état des léproseries de Verdun. Il a paru nécessaire, par suite de l'importance qu'elles ont eue, d'entrer ici dans quelques détails relativement peu connus et d'élucider certains points douteux. Cela permettra de juger que les pauvres mézeaux du moyen âge n'étaient pas aussi misérables et aussi abandonnés qu'on a bien voulu le dire : une des meilleures preuves, ce sont les précautions prises en beaucoup d'endroits pour écarter les faux malades, que séduisait la perspective d'une vie calme et tranquille. Malheureusement, comme toutes les institutions humaines sont fragiles, il devait arriver fatalement des abus, précurseurs d'une décadence qui se fit rapide dès l'époque de Louis XI environ, et nous aurons à regretter le lamentable état des léproseries au XVIe siècle. Cela commença très probablement le jour où la société se sentit moins menacée par le terrible fléau, où la charité chrétienne fut moins pitoyable, où l'ancienne communauté des frères et sœurs, sains et malades, n'exista plus, et où s'effectua la séparation des prébendiers des indigents à la charge de la cité. 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II

Les établissements hospitaliers de Verdun au XVI° Siècle.

Réformes de l'évêque Nicolas Psaulme.

 

Tous ces établissements de bienfaisance, dont le moyen âge avait vu l'épanouissement et la prospérité, tombèrent dans une profonde décadence aussitôt que leur primitive organisation disparut. Seule, l'aumônerie de St-Vanne, au temps où Nicolas Psaulme prit place sur le siège épiscopal de Verdun, n'avait pas changé de régime, grâce à son caractère particulier ; mais elle avait elle-même ressenti le contrecoup de l'affaiblissement de la discipline monastique et n'avait plus sa splendeur d'autrefois. Quant à St-Nicolas de Gravière et à Ste-Catherine c'était un affaissement complet, depuis que l'ancienne congrégation des maîtres, frères et sœurs avait fait place à des gouverneurs, prêtres salariés choisis par l'évêque et régissant les propriétés des hôpitaux à peu près sans contrôle. Leur administration fut aussi mauvaise que possible et les domaines ne produisirent plus que de faibles revenus. Que leur importait-il, à eux qui étaient plus ou moins étrangers au pays, que leurs maisons eussent des ressources médiocres, s'ils avaient la faculté de retirer au moins les gages qui leur étaient alloués ?

A cet égard, les budgets des trois hôpitaux de St-Nicolas, Ste-Catherine et St-Jacques, présentés par l'évêque Psaulme en 1558, sont fort édifiants. A cette date, St-Nicolas possédait en revenus annuels 133 francs 6 gros, et le gouverneur prenait à lui seul 80 francs « pour son estat et pour faire le divin service » ; chacune des deux chambrières, qui remplaçaient les sœurs et soignaient les malades, recevait 8 francs : ainsi donc les pauvres ne retiraient que 87 francs 6 gros, pas même la moitié du traitement du gouverneur ! Il leur restait un peu plus des revenus en nature : sur les 36 reds 12 franchards de froment qui arrivaient à l'hôpital, le gouverneur, pour lui, son serviteur et les deux chambrières, ne percevait que 6 reds, et sur les 22 reds 8 franchards d'avoine, il n'en gardait que 3 ; mais, par contre, il emportait presque les trois quarts de la recette en vin (3 queues sur 4 queues 10 setiers). Ste-Catherine était moins éprouvé ; mais c'était parce que son domaine avait été moins dilapidé et rapportait un peu plus : l'hôpital avait 227 francs de revenus en argent, dont 60 lui provenaient de rentes constituées ; là encore le gouverneur, qui avait absolument les mêmes gages que celui de St-Nicolas, prenait 80 francs, et l'unique chambrière 8. Tout compte fait, il restait à l'établissement 13g francs d'argent, 19 reds 5 franchards de froment, 6 reds 3 franchards d'avoine, 8 franchards d'orge, 2 queues de vin, etc. Si ces deux principaux Hôtel-Dieu avaient conservé la jouissance de quelques rentes, il n'en était pas de même de l'hôpital St-Jacques, dont le traitement du gouverneur et de la chambrière absorbait presque tous les revenus ; et cependant ce traitement avait été réduit à 20 francs d'argent pour le premier. En définitive, les pauvres réfugiés à St-Jacques ne profitaient que de 28 francs d'argent et 4 reds de froment. Cette situation était lamentable : si, au XIIIe siècle, les Maisons-Dieu n'avaient eu en vue que le soulagement des misères humaines, à tel point que les maîtres, frères et sœurs n'avaient pu prétendre à aucune rémunération et avaient été passibles de peines très sévères s'ils avaient conservé la propriété de quelque bien, il n'en était hélas ! Plus de même à l'époque où nous sommes arrivés. Il était alors bien évident que les hôpitaux n'étaient plus que des bénéfices pour leurs gouverneurs. Aussi Nicolas Psaulme avait-il raison de dire que la charité publique était bien refroidie et que les fidèles ne faisaient plus d'aumônes, « a cause par adventure qu'ils estimoient les biens et revenus d'iceulx n'estre employez aux usages pieux, comme a la reception et soulagement des paouvres, entretenement des bastimentz d'iceulx et autres charges ordinaires. » Et de fait, les documents ne nous ont conservé aucun souvenir de donation pour tout le temps de l'administration de ces fonctionnaires. Cette décadence n'avait pas été particulière aux hôpitaux, elle avait atteint également les maladreries, toujours à partir de la disparition de l'ancienne organisation des frères et sœurs. Il en a été dit quelques mots à la fin du chapitre précédent, à propos de l'affectation spéciale donnée aux Grands et aux Petits-Malades ; mais il est nécessaire de revenir sur ce sujet pour montrer que les lépreux n'avaient rien gagné à ce changement. Dès le milieu du X V e siècle, dit fort justement M. Charles Buvignier, « la lèpre devint une rare exception parmi les classes aisées. » Elle continuait, il est vrai, ses ravages « là où le confort et l'hygiène n'avaient pas encore pénétré » ; mais ses victimes n'étaient reçues qu'aux Petits-Malades. La maladrerie St-Jean resta donc déserte, les anciens gouverneurs nommés par le conseil de la cité disparurent, et les biens de la maison finirent peu à peu par être incorporés au domaine communal et par être administrés directement par les jurés. Voilà donc un établissement perdu pour la charité publique. Les quelques lépreux logés aux Petits-Malades vivaient des maigres revenus particuliers de cet établissement ; mais ce n'était pas suffisant, et leurs principales ressources consistaient dans les distributions mensuelles que leur faisait le corps municipal et dans les aumônes qu'ils recevaient : il leur était en effet permis de mendier en certains mois le long des routes et dans les rues de la ville, où ils attiraient l'attention en agitant les cliquettes qu'ils tenaient à la main. Il était donc grandement temps de réagir, si l'on voulait conserver quelques biens à l'assistance publique. Il n'est guère besoin d'affirmer que c'était là une nécessité impérieuse : le nombre des pauvres et des mendiants s'était accru dans de singulières proportions, avec les guerres et les calamités qui se succédèrent à des intervalles si rapprochés pendant tout le XVIe siècle. Le diocèse de Verdun eut par bonheur à sa tête l'homme le plus éminent qu'il ait eu depuis bien longtemps, le fameux Nicolas Psaulme, qui, pendant les 27 années de son épiscopat, toucha à toutes les institutions pour les vivifier.

Né à Chaumont-sur-Aire en 1514, de Pierre Psaulme, « homme de bien quoique de petite condition », et de Didière Morel, il avait été élevé en l'abbaye de St-Paul, dont son oncle, François Psaulme, était abbé. Celui-ci résigna en sa faveur en 1538. Ce fut ce qui le décida à demander l'habit de Prémontré, qu'il reçut en 1540. Dans cette situation, il se distingua par de telles qualités que le cardinal Jean de Lorraine lui offrit l'évêché de Verdun, dont il prit, possession après s'être fait longtemps prier, le 12 juillet 1548. A d'autres le soin de retracer sa vie agitée et de mettre en relief tous les services qu'il a rendus à son pays : il ne faut retenir ici que ce qu'il a fait pour les pauvres et les déshérités de ce monde. La question de l'assistance était alors si complexe, elle était si difficile à résoudre pour celui qui cherchait non seulement le bien matériel de ses semblables, mais encore l'intérêt des âmes, qu'il n'y a pas lieu de s'étonner s'il y eut quelques tâtonnements et des essais infructueux.

Dès l'année 1549, l'évêque avait pris l'avis de son conseil pour l'organisation d'une aumône publique ; on discuta alors très probablement les bases sur lesquelles serait être établie cette nouvelle œuvre et on résolut en même temps de demander aux officiers municipaux d'indiquer leur sentiment. Ceux-ci adressèrent l'année suivante un mémoire, qui devait être communiqué aux Trois-États de la ville, pour « le réglement et ordre des hospitaulx de la cité de Verdun et la maniere de l'aulmosne pour les paouvres ». Les multiples occupations de Nicolas Psaulme, avant et après l'occupation de Verdun par les troupes françaises (1552), détournèrent son attention de ses projets charitables. Il ne les avait cependant pas abandonnés : en 1558, il présenta lui aussi aux Etats son avis « sur la reformation, reglement et ordre des hospitaulx de la cité de Verdun et sur la forme et maniere que se pourroit faire pour la police et entretenement des paouvres mendiantz de ceste cité et diocese dudict Verdun. » Il demandait par la même occasion de nouveaux conseils aux représentants du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie, et afin de faciliter leur discussion sur les établissements hospitaliers, il donnait la déclaration de leurs ressources et de leurs dépenses obligatoires, « pour par icelle congnoistre et entendre le gouvernement d'iceulx que jusques a present a esté faict ». Ce mémoire de l'évêque complétait un autre projet « sur la forme et maniere de l'aulmosne, qui se doit faire à Verdun, pour l'entretenement des povres de la ville et estrangiers ». Celui-ci avait été communiqué également aux Etats, qui y avaient apporté quelques modifications, comme le prouvent les additions et les ratures qui se remarquent sur l'une des exemplaires.

Voici quelles furent les dispositions proposées par l'évêque à l'acceptation des t Etats : on y remarquera que Nicolas Psaulme y fit preuve d'un esprit très libéral, en réduisant même les droits qu'il possédait sur les hôpitaux, pour reporter aux représentants des trois ordres de la ville la haute surveillance et la direction de l'assistance, ou, comme on disait alors, de l'aumône publique. Non seulement, les trois hôpitaux de St-Nicolas, Ste-Catherine et St-Jacques seraient en la main des Etats ; mais encore l'institution créée à cette époque, qui tint lieu du bureau de bienfaisance de nos jours et qui fut plus spécialement appelée l'aumône publique, serait de leur ressort. Ils auraient par conséquent à déléguer leurs pouvoirs à quatre personnes des plus notables, qui pendant une, deux ou trois années, s'assembleraient de trois en trois mois en l'hôpital de Gravière, « pour en icelluy veoir et congnoistre l'estat et manyement de tout le revenu desdictz hospitaulx, biensfaictz et aulmosnes d'aultruy et la distribution d'iceux. » Ces personnages, appelés recteurs de l'aumône, aussitôt leur nomination, prêteraient devant l'évêque et les Etats le serment de remplir leurs fonctions avec zèle, sans avoir à prétendre d'autres « gaiges ny recompanse que celle de Dieu. » Cependant, il leur serait permis de donner une rétribution à certains « officiers », qui les seconderaient dans leur tâche et dont voici la liste : un notaire servant de secrétaire, un receveur de l'aumône, un sergent « pour donner crainte aux paouvres et leur faire tenir l'ordre », un médecin, un chirurgien et un chapelain, sans compter le boulanger et le meunier. De plus, chacun des deux hôpitaux de St-Nicolas et de Ste-Catherine aurait à sa tête « quelque bon presbtre, gouverneur et recepveur des rentes et revenuz d'un chacun », à qui des gages seraient aussi attribués et qui aurait à rendre compte de sa gestion annuelle devant l'évêque en son conseil, assisté des recteurs ci-dessus nommés. Les malheureux, aux besoins desquels Nicolas Psaulme voulait subvenir, peuvent se diviser en six catégories : 1° les malades de la ville et des terres de l'évêché, 2° les orphelins sans ressources, 3° les indigents de la cité, 4° les mendiants étrangers et les pauvres passants, 5° les lépreux, et 6° les pestiférés. Les premiers seraient reçus à St-Nicolas de Gravière, dont le nom serait changé en celui d'Hôtel-Dieu St-Nicolas. Sa destination serait donc dès lors d'accueillir « tous paouvres hommes et femmes malades et impotens de ceste cité de Verdun et de la terre de l'eglise. » L'évêque constatait ensuite que l'hôpital St-Jacques serait un endroit « propre et commode pour y loger les enfans orphelins. » Il voulait donc que ceux qui n'avaient pas d'autre moyen d'existence que la mendicité y fussent reçus et instruits par un maître d'école, « tant es rudimentz de nostre religion chrestienne, comme en quelque bonne discipline ecclesiasticque et lettres » ; il désirait encore dans l'établissement un chapelain, spécialement chargé de célébrer l'office divin, d'administrer les sacrements et de percevoir les rentes et revenus de la maison. Pour que cette institution fût en tout populaire et charitable, le maître d'école aurait à faire des leçons publiques, où les autres enfants de la ville pourraient apprendre gratuitement « les rudimentz de nostre religion et aultres lettres. » Ce n'était pas assez de donner une éducation première aux orphelins recueillis à St-Jacques, il fallait encore les rendre à même de se mesurer plus tard avec les difficultés de la vie. Ils seraient donc placés en apprentissage chez les maîtres des métiers, qui ne pourraient se refuser à les recevoir. Quant à ceux qui seraient d'une intelligence plus vive et plus « capable de lettres », on les pousserait dans leurs études : les uns iraient en religion, les autres se mettraient au service de « quelque bon personnaige. »

Les indigents de la ville se partageaient en deux classes : les mendiants de profession et ceux qui, malgré leur travail, n'arrivaient pas à nourrir leur famille. Nicolas Psaulme désirait que le nombre des premiers fût réduit le plus possible : par conséquent, les étrangers qui n'auraient pas établi leur domicile à Verdun avant la promulgation de ce règlement, seraient expulsés ; à ceux de la cité, il serait défendu, sous peine d'une punition infligée selon l'avis des Etats, de mendier dans les rues, dans les églises et aux portes des particuliers : le sergent de l'aumône publique aurait pour mission spéciale de les surveiller. La plus grande partie de ces mendiants étant valide et pouvant travailler, il serait nécessaire « d'aviser quelque œuvre publique », où on les emploierait utilement et où ils pourraient gagner leur pain quotidien. Les autres indigents étaient plus dignes de commisération ; aussi l'évêque voulait-il qu'ils fussent traités le mieux possible : « Quant aux paouvres gens et mesnaiges de ceste cité, disait-il, chargez d'enfans et maladifz, qui au moyen de leur labeur et de l'aulmosne logent en ville ainsi qu'ilz peuvent, semble bon qu'on leur baille pour toute la sepmaine certaine quantité de pain et d'argent. » Dans son premier projet, il fixait lui-même les secours qu'il serait opportun de leur allouer : à chaque ménage, un pain de froment de 12 livres et 12 blancs d'argent ; aux pauvres vieux, qui ne peuvent plus manger de pain, de l'argent seulement. Ce serait là l'aumône ordinaire qui serait doublée la veille des « bonnes festes » de Pâques, de Noël, du jour de l'an et des Rois, pour permettre à ces malheureux de prendre part à l'allégresse de tous les chrétiens. On dresserait une liste des personnes assistées de cette façon ; chacune d'elles aurait en outre à porter une marque indiquant qu'elle est aidée par l'aumône publique. La distribution des secours aurait lieu toutes les semaines au couvent des Jacobins ; aussi chaque samedi les recteurs se réuniraient-ils à St-Nicolas de Gravière, pour décider d'après les sommes reçues et l'état de leurs finances, la quantité de pain et d'argent qu'il leur serait possible de donner. Dans le même Hôtel-Dieu, on établirait le grenier et le four de l'aumône publique.

Quant aux pauvres passants, l'établissement de Ste-Catherine leur servirait d'asile, et en cas de besoin, l'hôpital de St-Vanne les recueillerait. Gela suffît pour indiquer que selon les intentions de l'évêque, Ste-Catherine devait être une espèce d'hôtellerie pour les indigents étrangers. Les pauvres y trouveraient leur repas du soir et leur coucher ; le lendemain il leur faudrait repartir, en emportant une aumône. Il leur serait absolument interdit de séjourner dans la ville : prescription qui n'était pas seulement le fait de la volonté de Nicolas Psaulme, mais encore du désir de la municipalité et des Trois-États, qui renouvelaient constamment leurs ordonnances contre les gueux errants.

L'évêque estimait que l'aumône publique n'avait pas à se charger des lépreux. D'ailleurs, ils n'étaient pas si nombreux que les biens des maladreries ne pussent suffire à leur entretien. Psaulme proposait donc que le domaine des Grands-Malades leur fût affecté ; mais sur ce point sa volonté ne fut pas écoutée, et l'administration municipale réussit à conserver ces propriétés entre ses mains : elle se contenta de verser dans la caisse du receveur de l'aumône une somme qui en représentait soi-disant le revenu, et n'alloua même plus de secours aux quelques lépreux qui vaguaient encore aux environs de la ville et se réfugiaient la nuit aux Petits-Malades. Les pestiférés, au sort desquels il fallait songer en ces époques de malheur où la peste ne disparaissait jamais complètement du pays, auraient, dans la pensée de Nicolas Psaulme, à se retirer hors de l'enceinte de la cité dans un endroit spécial, où ils seraient nourris par l'aumône publique.

Pour subvenir à toutes ces nécessités, il était urgent de posséder des ressources importantes : nous savons que les revenus disponibles des hôpitaux étaient d'une insuffisance manifeste, même pour le seul entretien des malades de la ville, à plus forte raison s'il leur fallait s'intéresser à tous les indigents et aux pauvres de passage. Voici donc ce que projetait l'évêque Psaulme : les revenus de Ste-Catherine seraient joints à ceux de St-Nicolas de Gravière pour les besoins de ce dernier hôpital ; la première de ces maisons ne retiendrait par devers elle que les sommes nécessaires pour les réparations des bâtiments et les gages du gouverneur- receveur et des «. servantz. » L'évêque s'engageait lui-même à constituer des rentes suffisantes pour le vêtement des orphelins recueillis à St-Jacques et le salaire du maître d'école. Toutes les autres dépenses : nourriture des mêmes orphelins, secours à distribuer aux mendiants et indigents de la ville, réception des passants à SteCatherine, soins à donner aux pestiférés, seraient couvertes par le produit de souscriptions et d'aumônes de la part du public. Il faut donc, dit-il, « que ledict seigneur evesque se cottize a certaine quantité de grain et argent, messieurs les venerables du chappitre de l'eglise cathedralle et la Magdelaine, Ste-Croix, St-Vanne, St-Paul, St-Maur, St-Arig, St-Nicolas, le prieur de St-Loys, l'aulmosnier de St-Vanne, les curez de la ville, messieurs des Troys Estatz, en particulier de l'eglise, noblesse et bourgeoisie. » Ce serait là le fonds principal des revenus de l'assistance publique, mais en plus de cela, des troncs pour aumônes seraient établis en la cathédrale, en l'Hôtel-Dieu St-Nicolas et même dans toutes les boutiques et hôtelleries ; chaque dimanche, les recteurs remettraient à un certain nombre de dames « bourgeoyses » de la cité des « boyttes » pour quêter dans la ville ; les orphelins quêteraient également dans les églises, tant à Verdun que dans les villages voisins ; les notaires et les curés recommanderaient de ne pas oublier les pauvres dans les testaments ; enfin les biens des assistés venant à mourir appartiendraient à l'œuvre. Pour montrer au peuple « la paouvreté et les grandes charges ordinaires de l'aulmosne et comment les biensfaitz d'un chacun seront employez », comme pour augmenter le zèle des fidèles, il serait bon aussi de faire chaque année une procession générale de toutes les personnes assistées ; un prédicateur s'y ferait entendre et exposerait que la vraie charité, c'est-à-dire l'amour de Dieu et du prochain, est la seule chose qui puisse émouvoir le Souverain Juge, conserver un peuple « en union et fraternité » et le préserver de « tumber en ruine. » Tel était le plan, tels étaient les projets de Nicolas Psaulme pour la réforme de l'assistance publique. Ils furent adoptés immédiatement, et dès les premiers mois de 1558, l'hôpital St-Jacques fut converti en un collège ou université, qui devait nourrir et élever 24 pauvres orphelins, d'où le nom qu'il reçut d'orphanotrophe. Cette institution fut aussitôt confirmée par le cardinal Trivulce, légat du pape ; puis d'habiles professeurs furent appelés de Paris. Malheureusement l'aumône publique n'était pas encore organisée définitivement, et cette tentative échoua faute de ressources : en 1565, le collège était désert, peut-être même était-il fermé. Ce fut justement cette année que les Etats de Verdun se décidèrent à faire passer dans la pratique l'«advis » donné par l'évêque sept années plus tôt pour le soulagement des pauvres. Dans leur réunion du 24 février 1565, ils nommèrent huit recteurs de l'aumône publique (au lieu des quatre demandés par Nicolas Psaulme), dont trois furent choisis parmi les gens d'église, trois dans le Sénat ou la noblesse et deux dans la bourgeoisie. Ces recteurs furent chargés de dresser le rôle de tous les pauvres « soit malades impotens, povres valides vergongnans, enfans a mectre a mestier, filles a marier et povres passans, » de former des listes de cotisations en s'adressant aux particuliers et aux communautés, et d'exécuter ce qui serait nécessaire pour la bonne administration de l'œuvre. Au bout de trois mois, ils auraient à rendre leurs comptes en présence de l'évêque et des délégués des Etats, puis on procéderait à leur renouvellement, qui n'aurait plus lieu ensuite que tous les six mois. Avant l'expiration de leurs pouvoirs ils nommeraient deux d'entre eux avec le titre de superintendants, qui resteraient dans le bureau les six mois suivants, afin d'initier leurs successeurs aux affaires.

Les recteurs s'assemblèrent pour la première fois le 8 mars 1565 : ils commencèrent par décider la publication immédiate de l'ordonnance portant interdiction de la mendicité sous peine d'amende, et défense aux particuliers de faire l'aumône dans les rues ou devant leurs portes. Pour dresser le rôle des pauvres, les curés des paroisses furent invités à annoncer au prône du dimanche suivant que tous les indigents eussent à se présenter devant les recteurs, le lundi à Ste-Catherine et le mardi à S t-Nicolas de Gravière. Là on s'enquerra de leurs besoins et l'on fixera les secours auxquels ils auront droit. On s'informera également d'une façon discrète des pauvres honteux, et l'on s'ingéniera à leur faire passer secrètement des aumônes. La municipalité offrant de se cotiser pour cette œuvre, on la déchargera de l'obligation de nourrir les lépreux ; par conséquent, il faudra s'enquérir du nombre de ces malheureux, auxquels on donnera 12 gros par mois ; cependant, pour ne pas trop engager les finances de ce côté, on ne recevra aux Petits-Malades que ceux qui seront désignés par l'évêque ou le Sénat de la cité. La mendicité est rigoureusement interdite : on fera donc des distributions de blé aux trois couvents des Ordres mendiants, qui ne quêteront plus. Même résolution est prise à l'égard des religieux solitaires, qui devront quitter leurs « chapperons » et « habitz d'hermittes. » Quant aux pauvres passants, ils auront à s'adresser à un recteur qui leur donnera une aumône pour s'éloigner ; s'ils arrivent le soir, on les couchera après leur avoir servi du pain et du potage, et ils repartiront aussitôt que leur santé et la température le leur permettront. Les premières listes de cotisations ne nous ont pas été conservées : la plus ancienne que nous possédions se trouve dans le septième compte de l'aumône publique, qui s'étend du 1er mars 1671 au 29 février 1572. L 'évêque Nicolas Psaulme y est inscrit pour 400 francs d'argent et 3o reds de froment ; le chapitre de la cathédrale, pour 100 francs et 20 reds ; chaque chanoine, pour une somme variant de 4 à 15 francs et 1 ou 2 reds ; le chapitre de la Madeleine, pour 30 francs et 8 reds, sans préjudice des cotisations particulières de chacun de ses membres ; l'évêque, en tant que vicaire général de l'abbaye de St-Vanne, pour 60 francs et 20 reds, l 'aumônier du même monastère pour 60 francs et 12 reds ; le trésorier, pour 4 francs et 1 red ; l'évêque, vicaire général de l'abbaye de St-Paul, pour 60 francs; le prieur de St-Paul, pour 10 francs ; le Sénat de la cité, pour 200 francs et 20 reds, etc. En somme, le receveur de l'aumône publique accusait 2,588 francs de recettes, y compris le produit des quêtes, troncs, « boettes des marchans », et le faible reliquat des précédents comptes, plus 199 reds 5 franchards de froment. Ajoutons que les dépenses absorbaient très facilement les recettes, et que plus d'une fois le receveur fut obligé de faire l'avance de ses propres deniers.

L'avortement de la tentative de Nicolas Psaulme, qui avait voulu fonder un collège d'orphelins et même une université dans l'hôpital St-Jacques, ne découragea pas le généreux prélat. Il appela d'abord des Jésuites, dans l'espoir que leur enseignement, répondant davantage aux exigences du temps, ramènerait la prospérité de l'institution. Les Pères Avantian et François Coster commençaient déjà à obtenir quelques succès, quand une épidémie de peste en 1568 ruina complétement la jeune université, et dispersa maîtres et élèves. Il fallut donc abandonner les projets longtemps caressés et se résoudre à n'établir dans la ville qu'un simple collège, avec des revenus indépendants de l'aumône publique et une dotation qui lui assurât l'existence. Les négociations traînèrent quelque peu en longueur, le cardinal de Lorraine, principal conseiller de l'évêque, n'étant pas très favorable à cet établissement ; mais la municipalité et les gens des Etats secondèrent les efforts de Psaulme, et l'on finit par s'entendre pour la fondation d'un collège, qui serait dirigé par les Jésuites et où seraient reçus gratuitement tous les enfants de la ville, pour y être instruits dans « la piété et bonnes lettres de leur jeune aage. » Restait la question du local, St-Jacques étant définitivement abandonné pour ce projet. Depuis bientôt cinq ans, l'aumône publique fonctionnait et l'expérience avait déjà démontré les services qu'on en pouvait attendre. On avait reconnu que Ste-Catherine, St-Jacques et l'hôpital de St-Vanne, « joincte l'aulmosne publicque erigée depuis quelque teins en ceste cité, sont suffisantz pour la reception, nourriture et entretennement des paouvres. » St-Nicolas de Gravière fut donc désigné pour servir de collège et les revenus particuliers de cet hôpital furent affectés à cette institution (23 septembre 1570). Ce n'était pas perdu tout-à-fait pour les pauvres, puisque les leçons des Jésuites devaient s'adresser aussi bien à eux qu'aux enfants d'une condition plus aisée. Il est utile de dire encore que Nicolas Psaulme augmenta cette dotation de rentes assez importantes, qu'il avait achetées lui-même dans ce but.

Il ne restait donc plus que deux hôpitaux à Verdun : l'aumônerie de St-Vanne et Ste-Catherine. St-Jacques n'était plus compté comme établissement hospitalier, puisqu'il ne recevait plus de malades. En vain, Nicolas Psaulme, qui avait vu avec regret disparaître son orphanotrophe, essaya-t-il de le relever dans une de ses dispositions testamentaires et d'y faire élever dix orphelins sous la direction d'un précepteur prêtre : l'institution ne put prendre racine et St-Jacques resta à peu près désert. Toujours est-il qu'on n'hésita pas en 1590, à en céder les bâtiments aux religieux de Châtillon, qui eurent à en acquitter les redevances. De plus, l'hôpital de St-Vanne ne fut plus appelé à rendre de grands services. Depuis l'occupation française surtout (1552), l'abbaye ne fut plus que l'ombre d'elle-même ; les nécessités de la défense nationale firent du monticule sur lequel le monastère était élevé, une citadelle qu'occupèrent constamment les troupes royales. Les bâtiments de l'ancienne aumônerie furent enfin affectés au service militaire par M. de Marillac dès les premières années du XVIIe siècle ; le titre d'aumônier ne fut même plus conservé pour l'un des dignitaires du couvent, il avait disparu dès l'année 1618.  En réalité, dès 1570, il n'existait plus à Verdun qu'un seul établissement véritablement hospitalier, l'Hôtel-Dieu Ste-Catherine, que depuis on appela assez souvent hôpital général : on y soigna les malades et les infirmes, on y distribua des secours aux indigents de la ville, et les pauvres de passage y trouvèrent un refuge pour la nuit. Une nouvelle modification fut alors jugée nécessaire dans la composition du bureau des recteurs : ceux-ci furent réduits au nombre de sept et furent élus pour un an, non plus par les gens des Etats, mais deux par le chapitre de la cathédrale, un par les chanoines de la Madeleine et quatre par le Sénat de la cité, qui devait les prendre moitié dans son sein et moitié dans la bourgeoisie. Le gouverneur-receveur de Ste-Catherine, si tant est qu'il ait fonctionné depuis 1558, fut supprimé, la direction des recteurs étant suffisante. Enfin, les occupations du receveur de l'aumône publique, qui avait à centraliser toutes les recettes de l'assistance, furent limitées, et cet agent ne tint que la comptabilité ; le soin de « solliter » pour les affaires de l'hôpital fut confié à un nouvel officier, qui reçut le nom de procureur.

La création d'un collège gratuit pour les enfants de la cité dans les bâtiments de St-Nicolas de Gravière et l'organisation de l'hôpital général ne furent pas les derniers témoignages de l'affection de Nicolas Psaulme pour les malheureux. Sa générosité se révéla encore tout entière dans le testament, qu'il dicta le jour de sa mort (1o août 1075), et dont il faut rapporter ici les principales clauses de bienfaisance. Ce monument fut le digne couronnement d'une carrière consacrée exclusivement à la grandeur de son pays et au soulagement des misères humaines. Le jour de ses principaux obits, dit-il, trente pauvres vêtus de noir porteront des flambeaux, et l'on distribuera aux indigents 500 francs barrois et à chacun d'eux une miche de pain de 6 deniers, « afin qu'ils aient mémoire de prier Dieu pour son âme. » Il donne 5.000 francs aux Jésuites, pour achever la construction du collège, plus une somme de 3.000 francs, qui lui est due à Pont-à-Mousson. Les Minimes commençaient à s'installer dans le prieuré de St-Louis : Nicolas Psaulme leur offre 21.000 francs en argent et une rente de 12 muids de froment, s'ils veulent entretenir à Verdun 8 religieux prêtres et 2 oblats ; s'ils n'y consentent pas, le tout reviendra à l'Hôtel-Dieu Ste-Catherine, « a l'usage des pauvres, suivant sa bonne et sainte intention. » Il demande encore à ses exécuteurs testamentaires de reprendre l'œuvre de l'orphanotrophe à St-Jacques, d'y affecter le revenu ordinaire de cet ancien hôpital et d'y consacrer de sa succession 80 francs de rente et autant d'argent qu'il sera nécessaire. Nous savons, hélas ! Que la bonne volonté de l'évêque n'aura guère d'effet. Enfin, il laisse à Ste-Catherine une somme de 3.000 francs pour les bâtiments. Telles sont les dispositions les plus intéressantes de ce testament, qui serait à transcrire ici en entier, et qu'on ne peut lire, a dit un de ses admirateurs, sans « une forte et douce émotion. » Ainsi donc, grâce à Nicolas Psaulme, l'assistance publique était, complètement réorganisée à Verdun : quand la Révolution arriva, elle trouva encore en pleine activité le système inauguré par lui. Il y eut bien, cela va sans dire, un certain nombre de modifications apportées par la suite des temps, mais le fond, mais les grandes lignes restèrent à peu de chose près les mêmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE III.

L'assistance publique aux XVIIe et XVIIIe siècles.

L'Hôpital Général

 

Nicolas Psaulme, en faisant adopter ses réformes, avait donc établi que les indigents de la ville recevraient des secours soit à domicile, soit aux hôpitaux de Ste-Catherine et de St-Nicolas, où ils se présenteraient à jours fixes, que les orphelins seraient recueillis à St-Jacques, que les malades de la ville et des domaines de l'évêché seraient soignés à St-Nicolas, que les malades étrangers trouveraient un asile à Ste-Catherine, que les pauvres passants auraient un refuge dans ce même hôpital, où ils passeraient seulement la nuit, enfin que les lépreux et les pestiférés seraient nourris avec les ressources de l'aumône publique. La fondation du collège à St-Nicolas (1670) et l'aliénation des bâtiments de St-Jacques aux religieux de Châtillon (1590) ne changèrent que peu de choses à ces dispositions. L'Hôtel-Dieu Ste-Catherine resta donc seul et centralisa toutes les misères, qui s'abritaient primitivement dans trois maisons distinctes : ce fut l'hôpital général. Les revenus de l'aumône publique (sous ce nom d'aumône publique on entendait l'ensemble des institutions et établissements de bienfaisance en vigueur à Verdun) avaient été diminués par l'affectation au collège du domaine de St-Nicolas de Gravière ; mais Nicolas Psaulme n'avait pas cru que pour cela il fût nécessaire de réduire le nombre des personnes assistées. L'œuvre continua donc à fonctionner telle qu'il l'avait conçue et se maintint assez longtemps dans le même état. C'est maintenant l'histoire de ses variations et de son administration qu'il faut exposer aussi rapidement et aussi complétement que possible.

I. Les  destinées et les ressources de l'hôpital général pendant les XVIIe et XVIIIe siècles ; l'aumône publique ; l'hôpital militaire ou hôpital du roi ; la renfermerie.

 

Pour subvenir à tous les besoins, comme le voulait l'évêque Nicolas Psaulme, l'aumône, on pourrait dire l'assistance publique, n'avait que relativement peu de ressources. A la fin du XVIe siècle, elle avait à sa disposition tous les biens que les hôpitaux de Ste-Catherine et de St-Jacques avaient acquis : ils consistaient en gagnages, prés, maisons, dîmes, cens et rentes constituées. Nous en connaissons l'importance d'après la liste donnée dans le chapitre Ier ; il n'est donc pas nécessaire d'y revenir. Il est cependant utile de mentionner les quelques accroissements que reçut le domaine de l'hôpital général ou Hôtel-Dieu Ste-Catherine, dès les premières années du X V IIe siècle. Ce fut d'abord en 1603, quand les recteurs achetèrent, au prix de 3.000 francs barrois, au bailli Jean de Saintignon un grand gagnage à Eix ; puis en 1609, quand Jeannin Monnet leur légua, par un eodicille de son testament, un autre gagnage à Nixéville ; enfin en 1614, quand les libéralités de Gaspard Romé et de sa veuve Barbe des Moynes leur valurent 80 francs de rente sur divers héritages, à charge seulement de donner chaque année, le mercredi après la Pentecôte, à une jeune fille de Verdun de bonne renommée et de famille honorable, une somme de 5o francs barrois qui aiderait à la marier. La provenance des revenus de l'aumône publique permettait de les soigneusement séparer, et tous les ans le receveur établissait trois comptes distincts: 1° le compte des recettes du domaine de Ste-Catherine et des dépenses obligatoires de cet établissement ; ces dernières consistaient en frais d'entretien des bâtiments et des autres immeubles, redevances féodales et seigneuriales, charges dont étaient grevés certains biens ; 20 le compte des recettes du domaine de l'ancien hôpital de St-Jacques ; et 3° le compte général de l'aumône publique, dont voici l'économie. Les recettes comprenaient les reliquats des deux comptes précédents, c'est-à dire la presque totalité des revenus de Ste-Catherine et de St-Jacques, puis les cotisations des différentes communautés et des familles verdunoises, les aumônes des particuliers, le produit des quêtes, les sommes trouvées dans les troncs mis dans les églises et les hôtels, les legs et donations, le droit de bannette payé par les maîtres lors de leur réception dans les corporations de la cité, les amendes prononcées en faveur des pauvres par les tribunaux ainsi que par les jurés des maîtrises, le bénéfice de l'adjudication à des bouchers de Verdun du privilège exclusif de vendre de la viande pendant le temps du carême, les intérêts des capitaux donnés en constitutions de rentes, enfin les sommes payées par quelques pensionnaires de l'Hôtel-Dieu pour leur admission. Les dépenses, si l'on met de côté les aumônes octroyées aux Ordres mendiants et les gages des officiers de l'aumône publique portés sous des rubriques spéciales, étaient totalisées mensuellement : elles représentaient l'argent et le froment alloués par les recteurs à toutes les personnes assistées, ou affectés à l'entretien des personnes logeant en l'hôpital général. Tel était le budget dont disposait l'aumône publique pour soigner les malades, les infirmes et les orphelins qui demeuraient à Ste-Catherine, abriter pendant quelques jours au plus les mendiants étrangers, secourir les indigents de la ville, subvenir aux frais d'apprentissage des jeunes gens les plus pauvres, et enfin nourrir les lépreux et les pestiférés. Mais les ressources étaient insuffisantes, surtout depuis que la mendicité des étrangers avait pris un développement excessif, en dépit des prohibitions incessantes et des gardes mis aux portes de la cité. Il fallut donc restreindre le nombre des personnes assistées : c'est pour cela qu'on ne voit pas que l'Hôtel-Dieu ait reçu bien longtemps après 1670 les malades de la ville. On est même en droit de supposer que l'hôpital général, encombré par les mendiants de passage et les infirmes, puis par les orphelins, n'ait pu recueillir facilement la population que l'établissement du collège expulsait de St-Nicolas de Gravière. Le règlement donné en 1623 par François de Lorraine semble aussi indiquer que, outre les passagers, seules des personnes saines, telles que les vieillards, les orphelins, etc., avaient accès à Ste-Catherine : les quelques malades qu'on y traitait étaient ces mêmes individus atteints d'une affection après leur entrée. Le service de secours aux indigents de la ville continuait à fonctionner, tel que Nicolas Psaulme l'avait établi : il était trop nécessaire pour que l'on songeât à le supprimer. François de Lorraine voulut cependant qu'il subît un contrôle et demanda que deux ou trois personnes appartenant à la confrérie de la Miséricorde fussent déléguées à cet effet dans chaque quartier de la ville ; celles-ci avaient encore à signaler les pauvres oubliés dans les distributions. En même temps, pour réduire autant que possible la foule de ces indigents, ce prélat renouvela ses ordonnances contre la mendicité, fit expulser les étrangers, et ordonna aux rouges bâtons de veiller à ce que ses prescriptions fussent observées et d'empêcher les pauvres de troubler les offices et prédications. Par bonheur, les lépreux devenaient de plus en plus rares. En 1565, ils n'étaient plus que sept, et la terrible maladie disparut complètement dans la première moitié du X V IIe siècle. C'est à peine, si en 1685, lors de l'enquête dirigée par Jean Roton, lieutenant particulier au bailliage royal, des vieillards se souvinrent d'avoir vu dans leur jeunesse plusieurs de ces malheureux. Toujours est-il qu'en 1627, les Petits Malades étaient déserts et que les quelques propriétés de cette maison étaient annexées au domaine de la cité, comme l'avaient déjà été celles de la léproserie St-Jean.  Par contre les pestiférés auraient absorbé à eux seuls toutes les ressources de l'aumône publique, si la municipalité n'était intervenue, soit pour prendre elle-même des mesures préventives contre l'épidémie, soit pour soulager les malades. Pendant l'espace de 68 ans (1679-1646), « la ville subit au moins quatorze invasions de la peste et trembla plus de vingt fois devant le voisinage du fléau ; c'est-à-dire que les malheureuses populations n'eurent pas une année sur deux de répit ». La contagion fut surtout meurtrière en 1636, et depuis le mois de mai jusqu'à la fin de novembre, la mortalité fut effrayante. C'est par milliers que pendant tout ce temps on compta les victimes. La santé publique y était donc trop intéressée, pour que le Magistrat n'assumât la direction du service des pestiférés. Il continuait cependant à demander aux recteurs de l'hôpital général de contribuer selon leurs moyens à la nourriture des malades et de ceux qui les soignaient. Une fois même, un pauvre fossoyeur, qui s'était engagé à la redoutable besogne d'enterrer les morts, stipula avec la municipalité que, s'il venait à succomber, ses enfants seraient nourris par l'aumône publique jusqu'à ce qu'ils fussent en état de gagner leur vie.

Voici quelles étaient les principales dispositions prises par le Sénat en temps d'épidémie.). Aussitôt que le fléau menaçait la ville, il ordonnait de surveiller ceux qui entraient, renvoyait les foires à une date postérieure, faisait tenir les marchés en dehors des remparts et s'opposait à l'introduction de marchandises pouvant amener la contagion. Si malgré ces précautions, la peste se manifestait dans un quartier de la cité, on en barrait les rues et l'on défendait à qui que ce soit de communiquer avec les personnes suspectes. Tous les malades étaient transportés hors de la ville dans des huttes de planches ou de branchages situées près des bois de la ville, sur la côte St-Michel, en haut de la côte St-Barthélemy, etc. Des médecins, des religieux et des « fossiers » avaient seuls le triste privilège de les approcher. En même temps, dans l'intérieur de la ville, des ordonnances de police recommandaient la plus grande propreté, et l'on multipliait les mesures d'hygiène ; le soir venu, on allumait de grands feux sur les places et dans les rues ; les habitations, où la maladie s'était déclarée, étaient « essorées. » Des prières publiques et des processions avaient également lieu, pour désarmer le courroux du ciel. Le mal disparut complètement de Verdun après l'épidémie de 1636 ; s'il menaça encore les environs pendant une dizaine d'années, l'assistance publique put cependant consacrer dès lors ses revenus au soulagement d'autres misères. Malheureusement à partir de ce même moment ces revenus furent diminués d'une façon très notable, et l'on entra dans une période des plus critiques. En effet, les cotisations, qui constituaient un fonds très important des ressources de l'hôpital général, cessèrent d'arriver dans la caisse du receveur. Primitivement, on avait cru pouvoir compter sur la générosité de chacun ; mais on s'aperçut vite que la bonne volonté n'était pas égale chez tous les bourgeois de Verdun ; d'où la nécessité plusieurs fois proclamée de taxer d'autorité les personnes de la ville susceptibles de contribuer à l'aumône publique. Ainsi, l'évêque François de Lorraine, entre autres, ordonna en 1623 aux doyens, échevins, conseillers, gouverneurs et Magistrat de la cité de se présenter dans toutes les maisons de la ville, de cotiser chaque famille selon ses moyens, et de faire lever ces impositions même par force. Il faut dire à la décharge des Verdunois, qu'ils vécurent une époque de calamités telle qu'ils n'en avaient pas vue depuis bien longtemps. Ils eurent à supporter d'abord les guerres de religion, puis la Ligue, enfin la guerre de Trente ans qui mit le comble à la misère publique. Des inondations incessantes désolaient la campagne et par-dessus tout la peste exerçait des ravages continuels. Il devait donc arriver forcément un jour, où ces malheurs auraient une répercussion fâcheuse sur les rentes et les ressources de l'aumône publique : cela ne manqua pas, en 1636 le receveur ne put recouvrer les cotisations habituelles. Celte année 1636, peut-elle été moins désastreuse, l'assistance des pauvres à Verdun aurait encore subi d'importantes modifications, car les mendiants n'avaient fait que se multiplier dans des proportions inouïes et fort inquiétantes. Les dévastations commises par les troupes ennemies avaient fait abandonner la campagne et une foule de « forains » s'étaient réfugiés dans la ville pour y trouver au moins un abri. Ils y vivaient naturellement dans la plus effroyable misère : aussi, dès le commencement de l'année 1636, le gouverneur de Verdun avait-il demandé aux gens des Trois-Etats de fonder en dehors de la ville un hospice ou hôpital, qui recueillerait tous ces malheureux. Les États acquiescèrent à cette réquisition le 25 avril 1636 et accordèrent immédiatement un fonds de 6.000 francs barrois, dont un tiers serait pris sur les biens de l'évêché et les deux autres tiers seraient fournis par le clergé et le corps municipal. Ce projet n'eut pas de suite et ce fut en vain que l'économe séquestre de l'évêché ordonna, le 14 août suivant, à tous les fermiers et prévôts du domaine de verser ce qu'ils devaient, La paix et la tranquillité ne revenant pas dans le pays, l'évêché, le clergé et le Magistrat voyaient leurs revenus à peu près anéantis : non seulement ils ne payèrent, pas les sommes auxquelles ils avaient été taxés en 1636, mais bien plus il leur fut impossible d'acquitter leurs cotisations annuelles en faveur de l'aumône publique. Cet état de choses désastreux, aggravé par les subsides qu'on était obligé de donner pour l'entretien des troupes du roi, dura jusque vers 1670. A cette époque, les communautés ecclésiastiques et civiles étaient tellement endettées qu'il fallut un arrêt du Conseil d'Etat pour les sauver d'une ruine complète, en défendant à leurs créanciers de les poursuivre jusqu'à nouvel ordre. Pourtant les recteurs avaient conservé l'espoir d'obtenir le rétablissement des cotisations qui leur manquaient tant, pour le soulagement des pauvres et la distribution des secours. En 1664, ils avaient obtenu de l'intendant une ordonnance portant qu'il leur serait délivre une aumône de 15 reds de blé sur la recette de l'évêché de l'année 1662. En 1667, ils s'adressèrent à l'évêque Nicolas d'Hocquincourt, pour le prier de remettre en honneur les anciens usages ; l'évêque répondit bien à leur requête, mais il ne leur donna que des promesses. Une nouvelle tentative infructueuse eut lieu en 1669 : le procureur du roi au bailliage fit sommation, au nom des recteurs, aux chanoines de la cathédrale d'avoir à payer la somme de 120 livres d'argent et 4o reds de froment, pour leur contribution de l'année 1667. Les ordonnances de l'intendant de 1670, 1671, 1673, 1675 et 1676, permettant de contraindre les communautés du Verdunois au solde de leurs arrérages, n'eurent pas plus d'effet. Il n'était donc plus possible de ressusciter une coutume, qui était déjà bien morte. La perturbation, qu'amena dans les recettes de l'aumône publique la cessation du paiement des cotisations, eut pour conséquence immédiate de réduire encore le nombre des personnes assistées. Des circonstances toutes fortuites vinrent encore aggraver le mal et détournèrent pour quelque temps l'Hôtel-Dieu de sa destination. Depuis 1552, date de l'entrée des Français dans Verdun, les troupes royales avaient constamment résidé dans la ville, au grand dommage des habitants, qui avaient à supporter une partie de leurs frais de séjour. Le mont St-Vanne avait été transformé en citadelle : des constructions militaires y avaient été élevées et avaient fini par englober l'ancienne aumônerie du monastère. M. de Marillac songea donc, dès l'année 1626, à bâtir un hôpital pour les soldats malades. Son projet n'eut pas de suite, faute d'argent pour l'exécuter : il est vrai, qu'il avait eu la pensée de s'en procurer en s'emparant d'une partie des biens de Ste-Catherine, mais l'opposition fut si forte qu'il dut y renoncer. Cependant en 1637, lors du siège de Dainvillers, un grand nombre de blessés et de malades furent évacués sur Verdun et logés dans les bâtiments de l'hôpital général, dont la population ordinaire fut congédiée pour quelques mois. Ce fut-là, il est vrai, un fait accidentel ; mais il semble que les recteurs en profitèrent, pour s'autoriser de la diminution de leurs ressources, et limiter leurs secours aux seuls pauvres et indigents de la ville. Mais l'extrême misère était générale, et ils ne purent répondre qu'à une très faible partie des besoins, même dans la sphère restreinte où ils agirent. Il fallut qu'un saint Vincent de Paul s'intéressât à la France entière et envoyât quelques-uns de ses prêtres à Verdun, pour empêcher tout un peuple de mourir de faim. De 1638 à 1641, ces missionnaires donnèrent chaque jo u r du pain à 5 ou 600 malheureux, du potage, de la viande et quelquefois de l'argent à 5o ou 60 malades, sans compter les pauvres honteux auxquels ils faisaient passer des aumônes. Le Magistrat de la cité avait fort apprécié l'inépuisable charité et la sollicitude du saint pour toutes les infortunes : dès 164o, il lui avait adressé publiquement des témoignages de reconnaissance, et l'avait prié de continuer ses bienfaits dans un pays aussi éprouvé. En face de telles calamités, il était donc matériellement impossible à l'hôpital général, malgré la bonne volonté de ses recteurs, et malgré les subsides qu'il recevait parfois, de suffire aux nécessités de l'heure présente et de donner des vivres et un abri aux passants et aux étrangers. C'est pourquoi, en 1649, Marguerite Robillart et son fils, François Jacquier, cédèrent à l'Hôtel-Dieu une rente et des immeubles sis à Ornes, en stipulant qu'ils agissaient ainsi, afin que les « pauvres passants, estrangers malades ou autrement incommodez » fussent désormais reçus à Ste-Catherine. Mais les finances de l'établissement était si diminuées et la population mendiante si considérable, q u 'il faut douter que cette donation ait pu rendre de la vigueur à l'institution alors languissante.

Pendant tout le second tiers du X V IIe siècle, l'Hôtel-Dieu vécut d'une vie obscure et difficile ; il était à peu près abandonné à ses seules ressources et ne recevait plus de subvention. Aussi ne voit-on aucune acquisition sérieuse se faire pendant ce temps. Et quelles économies auraient donc pu réaliser le receveur, qui n'accusait plus comme recettes en 1654 que 2.847 francs d'argent, alors qu'en 1632, avec les cotisations qui lui parvenaient, il en avait eu 18.400 ? En 1632, il avait près de 6.000 francs d'excédent de recettes : en 1654, le déficit commençait; pourtant il continuait encore, malgré la ruine de l'aumône publique, à dresser les trois comptes : recettes de Ste-Catherine, recettes de St-Jacques et compte général. Ce fut seulement Gabriel Liégeois, entrant en fonctions le 1er juillet; 16 87, qui les réunit pour la première fois, mais sans cependant en changer l'ordre fondamental. Il inscrivit en tête les rentes en vin de St-Jacques, puis celles de Ste-Catherine, les revenus fonciers de l'un et de l'autre établissement, les aumônes, les recettes diverses et le produit des rentes constituées. Telles furent les dispositions du compte de l'Hôtel-Dieu jusqu'en 1727, époque à laquelle le receveur Claude-François Houvet ne fit plus mention du nom de l'hôpital St-Jacques. Une autre modification fut apportée dans les comptes de 1782 et. Années suivantes, par Charles-François Clouët, qui les divisa en deux parties distinctes : 1° recettes et dépenses ordinaires ; 2° recettes et dépenses extraordinaires, ces dernières arrêtées à la fin de chaque mois.

Les chiffres transcrits ci-dessus sont assez éloquents pour que nous nous dispensions d'insister sur l'état précaire, où était tombé l'hôpital général. Il n'en conserva pas moins ses hôtes habituels et continua à distribuer de maigres secours jusqu'à la fin de l'année 1667, où le déficit atteignit la somme de 6673 francs. C'est dans cette situation difficile que l'exemple donné en 1637, d'affecter momentanément l'hôpital aux soldats, porta ses plus malheureux fruits. Dès 1668, M. de Villeneuve, lieutenant du roi à Verdun, força en effet les recteurs de Ste-Catherine à recevoir gratuitement tous les malades qu'il leur envoyait. En vain les administeurs réclamèrent-ils : tout ce q u 'ils obtinrent de l'intendant de Metz, ce fut la promesse de toucher une indemnité de 5 sols par jour et par personne. C'était tout à-fait insuffisant, et ce le fut encore davantage au moment de la coalition de l'Europe contre Louis XIV, quand l'établissement d'un camp retranché autour de Verdun et les dévastations commises dans les campagnes firent monter les vivres à un prix fort élevé. Aussi, en 1675, les recteurs s'adressèrent-ils directement à M. de Pomponne, pour lui représenter la misérable situation dans laquelle était tombé l'Hôtel-Dieu, et pour lui demander la création d'un hôpital militaire, comme il y en avait déjà à Metz et à Nancy. On. Fit droit à leurs justes réclamations dans une certaine mesure, mais l'expédient auquel on se résolut ne fit qu'aggraver le mal. « L'hôpital fut déchargé du soin des soldats malades ou blessés, de leur entretien et de leur nourriture, mais non de leur logement. Ses bâtiments furent envahis par un directeur adjudicataire, accompagné d'une armée de médecins, chirurgiens, apothicaires et infirmiers, qui s'y établirent eux et leurs familles le plus commodément possible, s'emparant des meubles qui leur convenaient et s'inquiétant fort peu des malades et des pauvres civils, pour lesquels il n'y eut bientôt plus de place. On doit penser si les recteurs protestèrent» ; ils ne manquèrent donc pas de s'adresser à l'intendant Bazin, puis à M. de Pomponne et enfin à Louvois lui-même. Il y avait déjà 4 ou 5 ans que cet état de choses durait, et l'Hôtel-Dieu était encombré à un tel point que le directeur militaire lui-même avait reconnu son insuffisance, et avait transféré une partie de ses soldats dans une maison fort spacieuse du faubourg Pavé. Ce fait était trop grave pour que les recteurs n'en prissent occasion de suggérer l'idée d'acheter ce local au compte du roi, d'y établir l'hôpital militaire et de rendre les bâtiments de Ste-Catherine à leur primitive destination. Leurs propositions ne furent pas écoutées ; seulement le traité entre l'intendant de Metz et M. de la Posterie, directeur adjudicataire, étant sur le point d'expirer, Louvois leur permit de soumissionner cette direction et leur assura la préférence. Ils l'obtinrent donc le 3o octobre 1683, et ils s'engagèrent à soigner tous les soldats qui leur seraient adressés par l'intendant ou le commissaire du roi, moyennant une indemnité quotidienne de 6 sols 6 deniers tournois par malade. C'était se débarrasser des intrus qui avaient gêné si longtemps l'administration de l'Hôtel-Dieu et y avaient commandé en maîtres, et il arriva encore que ce fut un moyen pour les administrateurs de se créer quelques ressources par les économies qu'ils réalisèrent : pour les années 1685 et 1686, ils eurent un bénéfice de 2.164 livres. Cependant, ils avaient conservé le plus vif désir d'affecter leur maison aux pauvres, qui seuls y avaient droit, et ils finirent par se déterminer, le 14 mars 1689, à acquérir sur la place Marché la maison de M. Jean-Paul Duhautoy, afin d'y établir ce qu'on appela l'hôpital du roi. Tous leurs vœux furent comblés dès le mois de juillet 1690, quand les soldats quittèrent Ste-Catherine pour ce nouvel établissement. Ils n'en conservèrent pourtant pas la direction, que prit l'autorité militaire : ils se contentèrent de louer au roi la maison Duhautoy et de passer avec ses agents des baux qu'ils renouvelèrent jusqu'en 1788. Cet hôpital était d'assez vastes proportions, puisque aménagé pour 134 lits, il pouvait contenir jusqu'à 200 et 250 malades.

Une des raisons qui avait surtout déterminé les recteurs à rendre entièrement libres pour l'assistance publique les bâtiments de l'Hôtel-Dieu, c'était la création de la renfermerie des mendiants, qui avait été décidée dès la fin de l'année 1686. Les ordonnances contre la mendicité sans cesse renouvelées montrent combien ce mal était enraciné et combien il était difficile à extirper. Mais aussi pour que les mesures fussent efficaces, il aurait fallu que la paix régnât dans tout le pays, que le commerce prît un nouvel essort et ne fût plus entravé par des guerres continuelles, que l'industrie ne fût plus ruinée, que les travaux de la campagne fussent possibles à effectuer, sans la crainte d'en voir saccager les produits par les troupes de passage, et surtout que les impôts, qui pesaient si lourdement sur la population, fussent allégés. C'est pourquoi la misère, pendant tout le XVIIe siècle, n'avait fait que croître et augmenter, inquiétant les différents pouvoirs qui s'en étaient vivement préoccupés. Ce n'était pas seulement dans le Verdunois et dans l'Est de la France q u 'elle sévissait, c'était dans tout le royaume : pour le Centre par exemple (et le Centre a peut-être encore moins souffert que la région qui nous intéresse), un auteur bien autorisé a pu dire que le fameux portrait du paysan dressé par La Bruyère était d'une exactitude absolue. La mendicité s'était donc développée dans des proportions inouïes; à Verdun, une foule de pauvres diables sans logis et sans pain, le bâton à la main et la besace sur le dos, venaient frapper à la porte de l'hôpital général, où quelques-uns avaient chance de recevoir une aumône et de trouver un abri au moins pour la nuit ; les autres s'adressaient aux communautés ecclésiastiques ou civiles et importunaient les particuliers. Comme il en était de même partout, Louis XIV avait promulgué des édits, ordonnances, déclarations, lettres-patentes, etc., qui, dans sa pensée, devaient apporter quelque remède : la volonté du roi, jusqu'en 1686, était restée sans effet à Verdun, où il avait été impossible d'y répondre plus tôt. Mais à cette date, la situation était encore devenue plus intolérable, les bâtiments de l'Hôtel-Dieu, envahis par les soldats, ne pouvant recevoir qu'une quantité extrêmement restreinte de pauvres. C 'est pourquoi, le 19 décembre de la même année, la chambre de police au bailliage, après avoir pris l'avis de l'évêque et de la municipalité, résolut de former un fonds commun des revenus de l'hôpital général et des aumônes distribuées par les communautés et les particuliers, puis d'établir en l'Hôtel-Dieu une renfermerie pour tous les pauvres invalides et les orphelins, natifs de Verdun. A vrai dire, il n'y avait pas là d'innovation, on ne faisait que rentrer dans la légalité et rendre Ste-Catherine en partie à la véritable destination, que lui avaient voulue Nicolas Psaulme et les Etats. On promulgua donc une ordonnance pour expulser immédiatement tous les « gueux » étrangers, valides ou non, interdire la mendicité aux pauvres de la ville et défendre à toute personne de faire l'aumône à la porte de sa maison, dans les rues et dans les églises. Pour tenir la main à ces prescriptions et faire la police, deux valets ou rouges-bâtons, portant la livrée de l'hôpital, furent désignés, et l'on demanda au gouverneur de Verdun de consigner aux portes tous les mendiants qui se présentaient. L'hôpital général aurait une double fin : 1° il recevrait à demeure tous les pauvres de la ville, désignés par les curés des paroisses comme incapables de gagner leur vie, soit à cause de leur âge, soit à cause de leurs infirmités ; 2° il logerait pour une nuit seulement les gueux étrangers, qui lui seraient amenés par les rouges-bâtons. A ces dépenses on opposa les revenus de l'Hôtel-Dieu, le produit du travail des pauvres enfermés et les aumônes des communautés et des particuliers, recueillies par le receveur.

Ces décisions eurent immédiatement leur effet : il est vrai que le 3 décembre précédent, l'évêque et le clergé s'étaient entendus pour contribuer à cette œuvre et se cotiser selon leurs ressources. Donc, dès l'année 1687, le receveur de l'Hôtel-Dieu tint une comptabilité spéciale des sommes qu'on lui adressait dans ce but : la première fois, il n'eut que 34 reds 24 franchards de froment, mais dès l'année suivante, il lui fut donné 76 reds 10 franchards. Les difficultés ne manquèrent pas dans les débuts, puisque les bâtiments de l'hôpital général étaient encombrés de soldats : ce fut seulement en 1690, qu'il fut possible d'exécuter en entier le plan adopté quatre années auparavant. Pourtant il manquait encore à cette entreprise une sanction supérieure ; elle la reçut seulement en 1694 avec un arrêt du parlement de Metz, qui portait des peines extrêmement sévères contre la mendicité : la prison et les galères pour les hommes, le fouet et la prison pour les femmes et les enfants. Le même arrêt ordonnait aussi aux cures, échevins d'églises et notables de chaque paroisse de s'assembler, de pourvoir à la subsistance de leurs indigents et de cotiser les habitants ; mais cette disposition ne paraît pas avoir été adoptée à Verdun. La renfermerie de cette ville obtint un autre secours, qui lui fut encore plus précieux, dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 1696, qui unissait à l'hôpital général les biens des maladreries St-Jean et St-Privat, autrement dit des Grands et Petits-Malades, pour être employés à la nourriture et à l'entretien de ses pauvres. Ce ne fut sans peine que les recteurs entrèrent en possession de ces propriétés. On se rappelle que la municipalité les avait incorporées à son domaine particulier, celles des Grands-Malades dès la fin du XVe siècle et celles des Petits-Malades en 1627 ; ces dernières avaient été concédées à un ordre de solitaires, qui avaient placé la chapelle sous l'invocation de S. Privat (1630), mais ces ermites ayant été expulsés en 1632, elles avaient fait retour à la cité. Le Magistrat s'en croyait donc pour toujours propriétaire, à titre parfait et régulier, quand survint la déclaration royale de décembre 1672, qui attribua toutes les léproseries du royaume à l'ordre nouvellement restauré de Notre-Dame du Mont-Carmel et de St-Lazare de Jérusalem. Il résista par conséquent au chevalier Blondelot, qui en vertu de l'arrêt de la chambre royale de l'Arsenal du 4 mars 1678, vint lui réclamer les biens dont il jouissait depuis si longtemps, ainsi que les différents titres qui les concernaient. Un autre arrêt de l'Arsenal, du 22 août 1685, confirma les droits du sieur Blondelot, et force fut à la municipalité, le 28 novembre suivant, de lui remettre les titres demandés et de lui présenter le compte des revenus des maladreries pour l'année 1684. Cependant elle continuait son opposition, et comme d'autre part, le chevalier de St-Lazare élevait lui aussi des chicanes sur l'étendue des biens qui devaient lui revenir, il fallut qu'une transaction intervînt en 1691 : le sieur Blondelot renonça à toutes ses prétentions, moyennant une redevance viagère de 1.200 livres. Le Magistrat pensait être bien affermi dans des droits si péniblement reconquis : l'arrêt du 15 avril 1696 vint encore troubler sa quiétude. Il essaya bien de soulever des obstacles à l'enregistrement des lettres-patentes de décembre 1696, confirmatives de cet arrêt; mais le parlement de Metz passa outre, et le 4 avril 1699, il débouta la ville de ses réclamations. Déjà, le 16 mai 1696, celle-ci avait dû présenter aux recteurs de l'Hôtel-Dieu le compte des revenus des Malades pour l'année précédente. C'était donc une somme annuelle de plus de 500 livres, provenant de la ferme des Grands-Malades, de l'ermitage de St-Privat, du gagnage d'Osches, des prés de la Morte-Meuse, de Champneuville, Samogneux, Souppleville, Dieue, Ambly, Villers et Tilly, sans compter le produit des coupes des bois d'Eix, Osches et Fleury, qui venait augmenter les ressources de la renfermerie. Le mouvement était maintenant bien dessiné en faveur de l'hôpital général et de sa charitable destination. Une nouvelle déclaration royale du 25 juillet 1700 ne fît que le fortifier, en réclamant des cotisations de chaque communauté. À Verdun, ce fut encore le clergé qui y répondit le plus efficacement; il demanda, dans sa réunion du 12 Novembre, que les mesures précédemment prises pour l'interdiction de la mendicité fussent maintenues et observées dans leur intégrité absolue et fixa ainsi les taxes annuelles : l'évêché et la mense abbatiale de St-Vanne à 20 reds, le chapitre de la cathédrale à pareille quantité, la Madeleine à 4 reds, l'abbaye de St-Vanne à 6, celle de St-Paul à 4 (plus tard, vers 1706, ce monastère en donna 6), les dames de St-Maur à 3, les religieux de St-Airy à 2, ceux de St-Nicolas des Prés à 1, etc. La municipalité, qui les premiers temps avait donné 6 reds au receveur de la renfermerie, puis une somme de 76 livres 16 sols, refusa de continuer cette allocation, sous le prétexte de la réunion des biens des Malades à l'hôpital général. C'étaient là des dispositions excellentes ; mais le mal était si grand qu'elles ne suffisaient pas encore. Il ne paraît pas, en effet, que si l'Hôtel-Dieu recueillait les pauvres de la ville, il ait aussi reçu les mendiants étrangers, qui continuaient à infester le pays. Une autre déclaration royale fut jugée nécessaire; elle fut signée par Louis XV le 18 juillet 1724, et transmise aux autorités de Verdun qui l'appliquèrent immédiatement. Ordre fut donné aux mendiants invalides, enfants, femmes grosses, vieillards, de se présenter à l'hôpital où ils seraient admis, et aux valides de prendre un emploi pour gagner leur vie. S'ils ne pouvaient trouver d'ouvrage, il leur faudrait s'adresser encore à l'Hôtel-Dieu, qui aurait à les nourrir et à les employer en des chantiers et ateliers de travail. Les hommes et les femmes, qui quinze jours après la promulgation de l'ordonnance continueraient leur vie vagabonde, seraient arrêtés et enfermés dans l'hôpital, où ils seraient nourris au pain et à l'eau pendant deux mois. Des peines très sévères furent édictées contre les récidivistes : trois mois de prison et marque au fer chaud, puis condamnation aux galères. Les recteurs de Ste-Catherine se préoccupèrent avec zèle de répondre aux volontés du roi ; en septembre et octobre 1724, ils firent de grands achats de meubles, qu'ils continuèrent jusqu'en avril 1726. Ils se mirent en rapports journaliers avec l'intendant des Trois-Evêchés, qui fixa jusqu'aux moindres détails de la nouvelle organisation : c'est lui qui leur demanda d'établir six archers, dont deux resteraient à l'hôpital pour maintenir l'ordre, et quatre parcourraient les rues de la ville pour arrêter les mendiants, qui leur prescrivit de déléguer un administrateur pour tenir les registres, expédier les passeports et congés, envoyer les états du service au procureur général du parlement de Paris, etc. La population de l'Hôtel-Dieu fut donc considérablement augmentée, et il fallut trouver les moyens de l'entretenir. Un arrêt du Conseil d'État,. en date du 7 novembre 1724, y pourvut d'abord, répondant ainsi à la promesse, qu'avait faite le roi dans sa déclaration, de suppléer de ses deniers aux revenus insuffisants des hôpitaux : il attribua aux renfermeries la moitié du produit des nouveaux octrois établis pour payer les gages des officiers municipaux,, dont les charges venaient d'être supprimées. Puis, les administrations des hôpitaux généraux de Metz, Toul et Verdun obtinrent du Conseil d'État, le 19 mai 1725, un arrêt qui leur réunissait d'autres fondations : à Ste-Catherine furent attribués les revenus de l'hôpital du St-Esprit de Marville, plus toutes les aumônes existant dans l'étendue du bureau de Verdun et dans les prévôtés de Montmédy, Chauvency, Marville et Damvillers. Le bénéfice se réduisit, après bien des contestations avec les anciens détenteurs, à la réunion du St-Esprit de Marville et de l'aumône de Marchéville. Quelques années après, le 31 janvier 1731, un autre arrêt de la même cour supérieure mit une imposition annuelle sur chaque province au profit des renfermeries. La généralité de Metz fut taxée à 40.857 livres, dont 7.070 devaient revenir à l'hôpital de Verdun. Il semble après cela que cet établissement dut acquérir une situation prospère, surtout si l'on songe que, dès l'année 1724, il était entré en jouissance des 44.784 livres, qui lui revenaient de la succession de l'évêque Hippolyte de Béthune, et que depuis cette époque il ne se passa pour ainsi dire pas une année sans qu'une donation ne vînt augmenter ses revenus. Son domaine, depuis une cinquantaine d'années, s'était accru dans de notables proportions. En 1670, Affrican Gerbillon lui avait légué tous les biens qu'il possédait à H annonville-au-Passage et à Boinville ; en 1679, il avait reçu un petit gagnage à Chattancourt de M. Danly et de Nicole Pierrard, sa femme ; en 1683, il avait acheté deux autres gagnages à Champneuville ; deux ans après, il avait fait l'acquisition d'une ferme à Fresnes-en-Woëvre ; en 1692, le chanoine Etienne François lui laissait par testament son domaine de Montzéville ; en 1720, Nicole Jauny lui vendait ses propriétés de Haudainville, moyennant 7.000 livres, et Nicolas Duhautoy lui donnait les 66 arpents du Rond-Bois à Moulainville. La plus grande partie du legs d'Hippolyte de Béthune avait été employée à l'achat de rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris et de gagnages à Nouillonpont, Champneuville et Boinville. En 1726 et 1729, l'Hôtel-Dieu pouvait encore payer le gagnage Mariez et Mothelet, près de la porte St-Victor de Verdun, et les immeubles du conseiller du roi, Ignace Robert, à Fleury. Si l'on joint à cela les biens des maladreries, dont nous connaissons déjà la valeur, l'ancien domaine de l'hôpital du St-Esprit de Marville à Arrancy, Marville, Nouillonpont et Rouvrois-sur-Othain, les quelques revenus de l'aumône de Marchéville, et les sommes annuelles allouées par l'intendant sur les octrois de Verdun, on aura quelque idée de la richesse relative de l'hôpital général. Les comptes présentés par le receveur en sont un autre témoignage. En 1670, la recette en deniers avait atteint le chiffre de 6.985 francs, et la dépense, augmentée du déficit des années précédentes, à 14.636 francs. En 1730, époque à laquelle nous sommes maintenant arrivés, la recette totale fut de 26.670 livres, tandis que la dépense n'arrivait qu'à 17.314. Ce fut à peu près la moyenne du budget de l'hôpital général jusqu'en 1789. Cependant l'équilibre n'était maintenu qu'avec les plus grandes difficultés, et plus d'une fois, pour ne pas retomber dans un déficit très long à combler, les administrateurs furent réduits à licencier les pauvres et à attendre que des économies leur permissent de les rappeler. L'Hôtel-Dieu Ste-Catherine, servant de renfermerie et parfaitement organisé pour cette destination, surtout depuis 1724, était donc à même d'être de la plus grande utilité. Malgré cela, ses ressources, bien qu'augmentées, ne suffisaient pas pour la foule des mendiants de Verdun et des territoires environnants ; la misère était trop profonde pour qu'on pût y remédier aussi facilement. Bien plus, les subsides royaux firent très rapidement défaut, et les recteurs, tout en administrant avec parcimonie et habileté le bien des pauvres et en soulageant le plus d'infortunes possibles, furent impuissants, même dans les temps ordinaires, à arrêter la mendicité. Ce fut en vain, qu'une déclaration royale, en date du 3 août 1764, remit en honneur les mesures prises précédemment, et édicta des pénalités excessives pour réprimer ce mal ; ce fut en vain également que quelques années plus tard on tenta d'organiser à Metz (1768) une renfermerie générale pour les indigents des Trois-Evêchés, et qu'on imposa de ce fait de nouvelles charges au pays : rien n'aboutit. Les idées philanthropiques, que Turgot, l'intendant de Calonne et l'évêque de Verdun échangèrent (1774) pour la fondation d'ateliers de charité dans la province, n'eurent pas plus d'effet. Il fallait des remèdes beaucoup plus énergiques, il fallait surtout atteindre les sources de la misère publique. L'ancien régime ne devait pas le faire : après avoir agonisé dans la recherche et les tentatives d'application de quelques réformes, il succomba sans être arrivé à son but.

II. Le bureau d'administration et ses auxiliaires.

L'aumône publique était entre les mains de sept recteurs choisis, conformément au règlement particulier de 1870 déjà mentionné, dans le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ce règlement, qui avait changé et les premiers projets de Psaulme et la constitution de x 565, subit lui-même un certain nombre de modifications. En 1615, le bureau d'administration, était-ce un effet du hasard ou la conséquence d'une nouvelle loi, n'était plus composé que de six personnes : Nicolas Milet et Jean Guerlot, chanoines de la cathédrale, Louis Petitjean, chanoine de la Madeleine, Charles Berbier, conseiller de la cité, Jean Goze et Jean Jonville, marchands et bourgeois de Verdun. En 1628, l'évêque François de Lorraine entreprit de compléter et de corroborer l'œuvre de son illustre prédécesseur, et promulgua les « règles pour l'Hostel Dieu de la cité de Verdun. » L'administration fut alors confiée à sept recteurs, dont l'évêque ou le délégué nommé par lui, président-né de leurs assemblées. Des six autres, trois furent à l'élection des chapitres de la cathédrale et de la collégiale et trois furent choisis par le corps municipal, un parmi le Sénat ou la noblesse, deux parmi les marchands ou les bourgeois. Leurs pouvoirs expirèrent, à la fin de chaque année, mais ils furent renouvelables : aussi les chapitres prirent-ils rapidement l'habitude de ne nommer un nouveau représentant qu'en cas de démission ou de mort, ce que ne fit jam ais le Sénat de la cité. Les réformes opérées par Louis XIV dans les administrations hospitalières de son royaume n'eurent pas leur effet complet à Verdun, où elles trouvèrent l'assistance publique parfaitement organisée et en plein fonctionnement ; cependant, elles modifièrent encore la composition du bureau des recteurs de l'hôpital général SteCatherine. Après bien des contestations et bien des difficultés, dans le détail desquelles il serait superflu d'entrer ici, la déclaration du roi du 21 décembre 1698 et l'arrêt du parlement de Metz du 1er avril 1700 la réglèrent ainsi : l'évêque ou son délégué, le lieutenant général du bailliage, le maire, un échevin de l'Hôtel-de-Ville, trois délégués des chapitres, le procureur du roi au bailliage et deux notables choisis par le corps municipal. En somme, c'était l'ancienne organisation qui était conservée, et à laquelle on avait, adjoint deux officiers du bailliage représentant l'autorité royale, et le maire. C'était là un des résultats de cette concentration à outrance, que poursuivait depuis longtemps déjà la royauté et qui tendait à supprimer toutes les libertés locales et toutes les prérogatives d'autrefois. Les chanoines le sentirent si bien, qu'ils protestèrent avec la plus grande fermeté contre ces dispositions et s'abstinrent même entièrement de siéger au bureau : ce ne fut qu'en sur un ordre formel de l'intendant M. de Creil, que les dissensions s'apaisèrent.

Pendant quelques années tout marcha à souhait ; mais en 1744 des troubles s'élevèrent encore à l'occasion des prétentions du député des curés paroissiaux de Verdun et du procureur syndic de l'Hôtel-de-Ville, de prendre place parmi les recteurs. Ces nouveaux venus finirent par avoir gain de cause, et en 1746 M. Delacroix, curé de St-Amand, dont le choix d'ailleurs était excellent, était délégué par le doyen et les curés comme administrateur de l'hôpital général. Désormais, jusqu'aux 23 et 28 octobre 1791, où la direction des hospices, entièrement soustraite à l'influence de l'Eglise, fut confiée à la municipalité, il n'y eut plus de modification dans le recrutement des recteurs. Leurs fonctions avaient été soigneusement fixées par Nicolas Psaulme et les Trois-Etats, puis par François de Lorraine. Nous connaissons déjà les constitutions qui furent en vigueur pendant le dernier tiers du XVIe siècle ; voici maintenant les principales lignes du règlement qui fut observé dès 1628. Chaque recteur avait ses attributions spéciales, de telle façon qu'aucune branche de l'administration ne restait en souffrance. Chacun d'eux, pendant deux mois, avait le titre de receveur tournaire et inscrivait les dépenses et recettes faites dans la maison. Les quatre recteurs ecclésiastiques avaient prédominance sur les autres ; ils visitaient fréquemment l'hôpital, où ils disaient la messe pour les pauvres et veillaient à l'exécution des fondations et anniversaires ; deux d'entre eux étaient, pendant un an, directeurs des confréries de la Miséricorde et de St-Joseph. L'économat était confié à l'un des recteurs, qui faisait les achats de provisions, jamais à crédit, présidait à la cuisine et tenait les comptes des dépenses de bouche. Un autre avait le nom de recteur fabricien et s'occupait des constructions et réparations des bâtiments ; il conservait la clef des greniers. A un autre enfin était dévolue la surveillance de la garde-robe : c'était lui qui dressait également l'inventaire des habits et des meubles des indigents décédés dans l'établissement. Toutes les affaires qui intéressaient l'aumône publique et l'hôpital général étaient traitées dans l'assemblée ou bureau des recteurs. Pour que les délibérations fussent valables, il fallait la présence de la majorité des membres ; les absents sans raison suffisante et sans excuse étaient condamnés à une amende au profit des pauvres. Primitivement, les réunions étaient mensuelles ; mais en 1734, les administrateurs décidèrent de s'assembler tous les dimanches, à 4 heures de Pâques à la Toussaint, et à 2 heures pendant la période d'été. En 1769, nouvelle modification : le bureau ne se tint plus que tous les 15 jours et le mardi. Les recteurs statuaient sur les requêtes présentées par les indigents, sur les demandes de secours à l'aumône publique, d'admission à l'hôpital Ste-Catherine, sur les questions d'administration des propriétés, sur les réclamations des fermiers; ils ordonnaient la mise en adjudication des fournitures, passaient les baux des immeubles, etc. Toutes leurs décisions devaient en outre être approuvées par l'évêque, où, en cas de vacance de l'évêché, par le chapitre de la cathédrale. Sans une autorisation épiscopale expresse, ils ne pouvaient vendre ou engager aucune propriété ; de plus, il leur était interdit formellement de se rendre eux-mêmes adjudicataires des fournitures et de faire des marchés avec l'hôpital : sage précaution, qu'on n'eut jam ais besoin de rappeler. Les fonctions qu'ils exerçaient étaient absolument gratuites : ainsi l'avait exigé Nicolas Psaulme, ainsi le voulait François de Lorraine ; leurs seules récompenses devaient être celles que Dieu réserve à « ceux qui s'occupent aux œuvres de miséricorde. » Par contre, toutes les autres personnes auxiliaires du bureau étaient salariées. C'était, en premier lieu, le receveur, à qui l'on demandait d'être « de grande intégrité, charité et diligence en l'acquit de sa charge, et outre cela est nécessaire qu'il soit bon mesnager et non necessiteux. » Nommé par les recteurs, il tenait la comptabilité des recettes et dépenses de l 'Hôtel-Dieu, et avait à s'occuper de la rentrée des fermages, rentes, cotisations, etc. Tous les mois, ses dépenses étaient contrôlées par le bureau, et chaque année il avait à présenter son compte général à l'évêque assisté de son conseil. Souvent, surtout au XVIIIe siècle, ce fut à l'un des recteurs que l'on confia cet office : il abandonnait alors aux pauvres les gages auxquels il avait droit et se contentait du titre de receveur charitable. Tous ont montré le plus grand dévouement dans ces fonctions pénibles et délicates ; cependant une mention spéciale doit être faite de Jean François Delacroix, qui pendant 33 ans (1751-1784) les exerça avec le zèle le plus louable. Le procureur de l'aumône publique, licencié en droit, était d'un non moins précieux secours aux recteurs, qui le présentaient à la nomination de l'évêque. A lui incombait le soin des procès de l'hôpital, qu'il devait suivre devant les différentes juridictions ; il s'informait encore auprès des greffiers de chaque tribunal des amendes attribuées à l'établissement et veillait aux intérêts des pauvres dans toutes les causes venant en audience ; il tenait de plus le registre du contrôle, où il inscrivait les contrats d'acquisitions, d'échanges, de baux, les adjudications, les constitutions de rente, etc. ; en dernier lieu il avait la garde des archives. Les recteurs n'eurent malheureusement pas toujours à se louer de ce fonctionnaire, surtout au temps de Jean Boucher ; ils supprimèrent donc cet office après Remi Vestier, qui était encore procureur en 1669 ; le bureau eut seulement un avocat à Verdun et un autre à Metz, chargés des intérêts de l'hôpital auprès des tribunaux. Le secrétaire enfin était élu par les recteurs parmi les notaires de la cité, et recevait de l'évêque ses lettres de provision ; il devait encore prêter le serment d'exercer fidèlement ses fonctions. Il rédigeait les procès-verbaux des séances, auxquelles il assistait comme le procureur, et s'occupait de toute la correspondance. C'était lui qui préparait les cahiers de cotisations à l'aumône publique et les rôles des indigents à assister. En sa qualité de notaire, il passait les actes ministériels intéressant l'hôpital général, mais sans avoir à prétendre d'émoluments, sauf dans certains cas déterminés. A la fin du XVIIe siècle, cette charge eut le même sort que celle de procureur : Vigneron fut le dernier secrétaire du bureau en 1690, et depuis les recteurs se chargèrent alternativement de la rédaction des procès-verbaux et de la correspondance, en se faisant aider par le maître d'école de la maison.

III. Régime intérieur de l'hôpital général.

Les pages qui précèdent ont montré que depuis l'organisation de l'aumône publique, l'Hôtel-Dieu Ste-Catherine eut d'une part une population flottante, composée de mendiants étrangers et de pauvres passants, et d'autre part une population fixe, formée d'indigents invalides de la ville, de mendiants malades et d'enfants. Inutile de dire que c'est de cette dernière qu'il va être exclusivement question ici. Il y avait aussi, comme dans les hôpitaux du moyen âge, un certain nombre de pensionnaires payants, plus ou moins bien considérés selon l'importance de leur apport. Quelques-uns méritaient même d'avoir un logement et une nourriture à part. Le traitement de toute cette population fut soumis, pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, au règlement édicté en 1623 par l'évêque François de Lorraine. Aucune admission n'était définitive, que lorsqu'elle était approuvée par le bureau des recteurs ; en cas de nécessité seulement, les pauvres étaient reçus sur la présentation d'un billet signé de quatre administrateurs. En 1639 cependant, on décida que la signature de deux recteurs serait suffisante, mais toujours dans les seules circonstances urgentes. D'autres conditions étaient encore requises, car l'hôpital restait absolument fermé « à toutes personnes entachées de lèpre, grosse vérole ou écrouelles, suspectes de sortilèges, et à toutes filles et femmes impudiques et publiques. » Les maladies contagieuses étaient donc un obstacle à l'admission : l'épilepsie rentrait même dans cette catégorie. Les fous n'avaient pas accès non plus dans l'Hôtel-Dieu, où n'existait pour eux aucun local. Ce fut seulement au XVIIIe siècle, en 1744, qu' 'on eut le projet d'acquérir une maison voisine, pour renfermer dans des cellules particulières ceux qui étaient atteints d'une affection contagieuse ou de folie. Des lettres-patentes de Louis XV approuvèrent cette louable pensée en 1755, et dès l'année suivante, on construisit des « loges » pour recevoir ces infortunés. On regrette également de constater que, jusque vers la fin du XVIIe siècle, il ne fut pas pas possible aux recteurs de l'hôpital général de recueillir les nombreux enfants que la misère exposait dans les rues. Ils recevaient seulement les orphelins et quelques enfants de pauvres ouvriers de la ville, et les plaçaient jusqu'à l'âge de 3 ans chez des nourriciers, à qui ils allouaient une indemnité mensuelle de 4 puis de 6 livres. Peut-être même était-ce une sage précaution que cette sévérité, et les parents abandonnaient-ils plus difficilement les enfants, qu'ils savaient ne pas devoir être élevés par l'assistance publique. Donc, les enfants trouvés étaient refusés : aussi la maîtresse de Ste-Catherine, le 7 août 1639, reçut-elle de très vifs reproches, pour avoir ramassé un nouveau-né expose nuitamment sous le porche de la chapelle. Cette interdiction fut levée vers 1680, et dès lors des sommes spéciales furent affectées à ce service. En 1753, l'hôpital eut même l'obligation de recevoir tous les enfants exposés et abandonnés dans le diocèse ; mais cela devint une telle charge, que les recteurs obtinrent du contrôleur général de ne conserver que ceux qui seraient trouvés dans l'intérieur de la ville, et d'expédier les autres à Paris. Mesure déplorable, s'il en fût : ces pauvres petits arrivaient à grand peine au terme d'an voyage où ils étaient soignés le plus mal possible ; ensuite, les établissements parisiens finirent par être encombrés et par coûter fort cher au trésor royal. En 1773, une circulaire de l'abbé Terray, alors contrôleur général, défendit ces envois : chaque hôpital dut garder à ses frais les enfants abandonnés dans le pays. Une autre condition, exigée des personnes qui se présentaient à Ste-Catherine pour y terminer leur malheureuse existence, était qu'elles fussent originaires de Verdun : les étrangers n'étaient admis qu'en vertu de rares fondations spéciales. C'est pourquoi Affricain Gerbillon stipulait, en 1670, que l'aîné de son nom pourrait faire entrer un pauvre d'où qu'il fût ; Hippolyte de Béthune exigeait, en retour de ses libéralités, que l'hôpital serait tenu d'entretenir trois vieillards choisis par l'évêque dans l'étendue des prévôtés de l'évêché, de St-Vanne et de la cathédrale. En 1720, Nicolas Duhautoy demandait l'admission d'un indigent pris alternativement à Moulainville et à Nubécourt, et en 1761, le curé de Harville, Nicolas Marchai, assurait l'assistance de deux enfants de sa paroisse, leur entretien et leur éducation à Ste-Catherine jusqu'à l'âge de 16 ans. A leur entrée à l'hôpital général, les pauvres devaient faire abandon de tous leurs biens meubles et immeubles, sans qu'eux ou leurs héritiers aient la faculté de les réclamer en cas de sortie ou de mort. Cependant on faisait l'inventaire de ce qu'ils apportaient, et l'on inscrivait leur avoir. De plus, il leur fallait présenter à la maîtresse, plus tard à la sœur économe, un billet de confession. Ils revêtaient immédiatement l'uniforme de la maison en drap gris, attachaient un chapelet à leur ceinture, et chaussaient des sabots. On coupait les cheveux ras aux femmes comme aux hommes, et ces derniers devaient encore sacrifier leur barbe. Ils ne pouvaient sortir qu'avec une permission et seulement pour le service de l'hôpital ; il leur était également interdit de donner quoi que ce soit à des étrangers. Ils étaient astreints à suivre les exercices spirituels de la maison, à assister à la messe quotidienne et aux prières récitées dans la chapelle trois fois par jour ; ils devaient aussi se confesser et communier tous les premiers dimanches du mois et aux fêtes de Notre-Dame, de S. Nicolas et de Ste Catherine. La nourriture se prenait en commun dans le réfectoire, où trois tables étaient dressées : une pour les hommes, une autre pour les femmes et la troisième pour les enfants. Le chapelain récitait le bénédicité et les grâces, et présidait les repas, pendant lesquels on faisait lecture de quelque bon livre. Quant aux malades, on les servait dans leur lit, et la maîtresse choisissait les pauvres les plus robustes pour leur porter à manger. Sauf au réfectoire et à la chapelle, les deux sexes étaient toujours séparés ; cependant une pièce spéciale, la salle Ste-Élisabeth, servait de dortoir aux vieillards et infirmes mariés. Les autres chambres du dortoir, dans chacune desquelles la maîtresse désignait une personne pour maintenir l'ordre, avaient les destinations suivantes : celle de St-Bernard, où se trouvaient 7 lits, logeait les hommes ; celle des Innocents, avec 5 lits, était affectée aux garçons ; dans celle de Ste-Claire, qui comptait 4 lits, couchaient les filles, tandis que les 10 lits de la salle Ste-Anne étaient réservés aux femmes. Les malades étaient mis à part, les hommes dans la chambre de Notre-Dame, et les femmes dans celle de Ste-Lucie. Les lits servaient à plusieurs personnes à la fois, et il n'était pas rare de voir quatre pensionnaires de l'hôpital coucher ensemble, pendant que les malades gisaient deux par deux. Dans les derniers mois de l'année 1724 cependant, on acquit de nouveaux meubles à la suite du développement donné à la renfermerie : il y eut jusqu'à 117 lits, plus 15 couchettes et 4 berceaux. L'heure du lever était de 5 heures, depuis Pâques jusqu'à la St-Remi, et de 6 heures en hiver ; celle du coucher, de 8 et 9 heures. Une grande discipline régnait dans la maison, et des règlements particuliers avaient été élaborés pour punir toutes les infractions aux ordonnances des recteurs ou aux lois de la morale : les peines les plus habituelles étaient le jeûne au pain et à l'eau, puis la prison et enfin l'exclusion. La première était infligée par la maîtresse, la seconde par la maîtresse et le chapelain et la troisième par les recteurs. Tous ceux qui pouvaient être de quelque utilité étaient employés aux différentes besognes de l'établissement. Les enfants surtout étaient occupés, lorsqu'ils n'allaient plus à l'école, où ils recevaient quelque instruction, ni aux leçons de catéchisme données par le chapelain, aidé des Jésuites, des Récollets et des Augustins l'intérieur de l'hôpital, on apprenait donc aux garçons le tissage et la bonneterie, et aux filles le filage, la couture et la broderie. Les produits de l'industrie des garçons, déduction faite du prix d'achat des matières premières et des effets conservés dans la maison pour l'usage des pauvres, rapportaient des sommes encore assez élevées : 337 livres en 1696, 635 en 1700 et 1.200 en 1749- Malheureusement, le bailliage royal interdit en 1730 la vente directe au public et déclara que ces jeunes gens ne pourraient travailler que pour le compte des bonnetiers de la ville. La couture et la broderie des filles rapportaient aussi quelques bénéfices: 207 livres en 1696, 567 en 1700 et 764 en 1710. Nous savons qu'en dehors de l'hôpital il y avait des enfants placés en apprentissage chez les maîtres des métiers ; des traités d'abonnement avaient été passés dans ce but avec les corporations, principalement avec celle des bonnetiers. L'apprentissage durait deux années, pendant lesquelles, les maîtres, moyennant une redevance, s'engageaient à nourrir, coucher et entretenir les enfants qui leur étaient confiés, à leur faire prier Dieu, à les envoyer à l'hôpital pour le catéchisme, enfin à leur enseigner toutes les règles de leur métier. Le personnel de l'Hôtel-Dieu, chargé du service de toute cette population, se composait de femmes : chambrières, couturières, servantes ; et d'hommes : boulanger, cordonnier, portier, cuisinier, jardinier, etc., tous placés sous la direction d'une maîtresse laïque. Celle-ci devait être d'âge compétent, de bonne vie et réputation ; en entrant en fonctions, elle prêtait entre les mains des recteurs, qui l'avaient choisie, le serment de « témoigner grand soin et charité envers les paouvres. » Elle avait la garde des vivres et provisions, qu'elle recevait des administrateurs et distribuait elle-même. Elle visitait les salles et surveillait la conduite des habitants de la maison, à qui on avait défendu de lui offrir des présents. Il ne semble pas qu'elle ait eu des gages ; elle avait seulement un logement à part et prenait comme nourriture les mêmes portions que le, chapelain. La dernière qui remplit cette charge, avec le titre de gouvernante ou de directrice de Ste-Catherine, fut Marguerite Talion, veuve de François Hallot, lieutenant-général au bailliage de Sarrelouis. Elle exerça même les fonctions de receveur et fut un des principaux agents de l'administration pendant 20 années (1695-1715). Elle s'était si bien intéressée à l'œuvre de l'hôpital général, qu'elle avait abandonné aux pauvres une somme de 3.000 francs, en se réservant une rente viagère de 15o livres, à laquelle elle renonça en se retirant. Son départ fut le signal d'une importante modification dans le service intérieur de la maison. Les recteurs s'assemblèrent au palais épiscopal dans les premiers jours de 1716 et résolurent d'une voix unanime, avec le consentement de l'évêque Hippolyte de Béthune, d'appeler cinq sœurs hospitalières de St-Lazare, aux mêmes clauses et conditions qu'elles étaient reçues à Metz. Les négociations n'aboutirent pas, et ce fut avec Joseph Charles, supérieur de la maison de la charité St-Charles de Nancy, que l'on traita le 15 mars de la même année. Il fut convenu que d'abord trois sœurs, puis deux autres, viendraient à Verdun pour gouverner et conduire » l'hôpital Ste-Catherine, moyennant le paiement des frais de voyage, le logement, la nourriture et une indemnité annuelle de 60 livres pour chacune. Elles arrivèrent le 25 juin et se mirent à l'œuvre avec un dévouement qui ne s'est jamais démenti. En 1724, lors des nouvelles ordonnances pour la renfermerie, leur nombre fut élevé à huit, mais il fut réduit à sept en 1744. Le 1er juin 1746, les recteurs invitèrent la supérieure à rentrer dans les conditions du traité de 1716 et à congédier deux de ses compagnes; devant les observations qu'elle présenta, ils rapportèrent leur décision. Elle indiquait ainsi l'emploi des sept sœurs, toutes indispensables, disait-elle, pour la bonne tenue de la maison : l'une dirige l'école de filles, à qui elle apprend à lire et à travailler, et prend soin de la chapelle ; la seconde préside à la cuisine, la basse-cour, le grenier et le moulin ; la troisième est infirmière ; la quatrième s'occupe des petits enfants qui peuvent se passer de nourrice; la cinquième, de la pharmacie, du fruitier, du jardin, du travail des femmes, etc. ; la sixième, des garçons de l'école et de la lingerie; en dernier lieu la supérieure est économe et tient tous les comptes. Ce personnel fut encore insuffisant, et en 1775 le bureau réclama l'envoi d'une nouvelle sœur; enfin, en 1779, une neuvième fut appelée. Quand Nicolas Psaulme présenta aux États le plan de ses réformes, le service religieux de l'hôpital Ste-Catherine était exercé par le gouverneur lui-même. L'évêque désirait d'abord que ce personnage, soumis en tout à la volonté des recteurs, célébrât les offices dans la chapelle et assistât les malades. Mais le gouverneur disparut, nous le savons, lors de l'organisation de l'hôpital général en 1670. Il n'y eut plus qu'un chapelain, nommé par les administrateurs, qui conservèrent ce droit d'institution jusqu'en 1763, époque à laquelle le grand vicaire du diocèse, M. de Sève, s'en empara. D'après le règlement de François de Lorraine, après avoir prêté serment lors de son installation, le chapelain avait à dire la messe dans la chapelle de l'hôpital tous les dimanches et fêtes et au moins deux fois par semaine, sans compter les anniversaires et fondations qu'il devait acquitter. Il lui fallait confesser les pauvres une fois par mois, leur administrer les sacrements et les préparer à la mort, rédiger les actes de baptême et de sépulture, enfin donner l'instruction religieuse aux enfants. Il surveillait l'hôpital pendant l'absence des recteurs, qui lui avaient accordé le droit de correction et d'emprisonnement; il assistait également aux distributions de pain, de viande, etc., et présidait au réfectoire. Il lui était interdit de s'absenter de la ville, ou de coucher hors de l'Hôtel-Dieu; on lui avait donc meublé un appartement dans la maison, où il ne pouvait pas recevoir de femme. Son traitement fut variable : de 60 francs barrois en 1629, il monta à 120 livres en 1646, à 150 en 1665 et à 35o en 1683 ; il faut cependant observer que depuis cette dernière date il ne fut plus nourri qu'à la condition d'abandonner 200 livres; en somme, on ne lui avait ainsi laissé que la liberté de prendre ses repas à son gré. Le chapelain était aidé dans ses multiples fonctions par le maître d'école, qui, nommé par le bureau, non seulement devait instruire les enfants et leur apprendre le catéchisme, la lecture, l'écriture, l'arithmétique et le chant, mais encore avait à faire réciter les prières, à surveiller la propreté et l'ornementation de l'église, à s'occuper de la sonnerie. Le chapelain lui donnait aussi à tenir les registres d'entrée et de sortie des pauvres, et la maîtresse lui faisait écrire ses comptes mensuels de dépense; après la suppression du secrétaire, les recteurs lui confièrent l'expédition d'une partie des affaires courantes. Ce n'était pas encore assez : s'il lui restait quelques loisirs, il travaillait au jardin et aidait les autres ouvriers de la maison, principalement au temps de la fenaison et des vendanges. Pour toute cette besogne, il recevait 18 livres par an en 1679, 50 en 1721, 54 en 1761 et 60 en 1763. Le service médical était confié à un médecin et à un chirurgien. Le premier, qui dans les premiers temps touchait un traitement annuel de 12 francs barrois et un red de froment, avait à visiter les malades au moins une fois par semaine et devait accourir toutes les fois qu'on l'appelait. En 1660, on lui demanda trois visites hebdomadaires et l'on porta ses appointements à 40 livres. En 1753, le bureau imita l'exemple de la municipalité, qui avait supprimé les gages du médecin des pauvres : il donna bien le titre de médecin de l'hôpital à Louis Clouët, mais ce fut sans aucune rémunération. Le chirurgien pratiquait les saignées ordonnées par le médecin et donnait ses soins aux blessures et fractures ; il préparait, lui-même les baumes et onguents qui lui étaient nécessaires. Primitivement, il présentait chaque mois au bureau le mémoire de ce qui lui était dû; en 1687, les recteurs rompirent avec cette tradition et traitèrent avec les sieurs Cabillot et Bourgeois, pour être chirurgiens de l'Hôtel-Dieu aux gages annuels de 40 livres et avec le privilège de l'exemption du logement des gens de guerre. Après la fondation de l'hôpital du roi, Ste-Catherine ne conserva qu'un seul de ces praticiens, dont le traitement fut de 3o livres par an.

 

CHAPITRE IV

L'assistance publique aux XVIIe et XVIIIe siècles (suite).

L'Hôpital St Hippolyte La Charité.

 

I. L'Hôpital St-Hippolyte.

Après la désaffectation de l'hôpital St-Nicolas, les malades de la ville et du diocèse devaient être reçus à Ste-Catherine. Mais cet Hôtel-Dieu fut tellement encombré par les indigents de la ville, par les passants et les mendiants étrangers, par les orphelins et les enfants abandonnés, qu'il lui fut à peu près impossible de répondre à cette obligation. Même les recteurs étaient fort peu disposés à y consentir : ils s'en tenaient en effet à la lettre du premier règlement de 1558, de telle façon qu'ils se croyaient en droit d'affirmer que « l'hospital Ste-Catherine n'a été fondé que pour y recevoir les personnes saines, telles que sont les vieillards, les orphelins, les enfants trouvés, les pauvres estrangers passants pendant une nuit et les bourgeois qui se trouvent hors d'estat de pouvoir vivre sans l'assistance dudit hospital, aussi bien que pour fournir aux jeunes gens de l' un et l'autre sexe les secours nécessaires, tant en grains qu'en deniers, pour leur faire apprendre différents arts et métiers pour gagner leur vie. » Et de fait, telle était la destination de cet établissement à la fin du X VIIe siècle. Si certaines personnes avaient conservé l'espoir d'y voir soigner un jour les malades indigents, elles durent l'abandonner complètement, quand en 1687 la renfermerie fut décidée. Aussi l'évêque Hippolyte de Béthune eut il le projet, dès cette même année, de combler cette lacune et de fonder une maison spéciale. Il ne put l'exécuter immédiatement, par suite des temps difficiles que l'on traversait; mais il le reprit en 1716. Le 6 mai de cette année, il s'entendit avec Jean Payen, archidiacre et théologal, Nicolas Bricart, chantre, Samuel Guichon de Vielennes, écolâtre, Antoine Malassagne et Nicolas Cabillot, tous chanoines de la cathédrale, afin de « Commencer un nouvel etablissement pour le soulagement des pauvres malades de la ville et du diocèse, qui sont sans retraite et sans secours. » Ils en arrêtèrent les bases ce jour-là même, et ils stipulèrent qu'une des conditions essentielles de sa fondation serait sa séparation perpétuelle d'avec l'hôpital général, et qu'en cas de non observation de cette clause, les libéralités de l'évêque seraient reportées aux pauvres des terres de l'évêché, et celles des chanoines à ceux du domaine de la cathédrale. Le fonds primordial de l'hôpital fut ainsi constitué : Hippolyte de Béthune paiera chaque année, à partir du 1er janvier 1717, une rente de 300 livres, dont il assurera le capital dans son testament ; M. Payen donna 1.000 livres et s'engagea pour une rente de 5o livres ; M. de Vielennes remit deux obligations montant à 2.900 livres; M. Malassagne déposa un contrat de rente de 4.000 livres. Il fut résolu qu'on consacrerait ces premières ressources à l'achat et l'aménagement des bâtiments, à l'acquisition d'un mobilier et à la fondation de six lits. L'administration devait toujours être confiée à deux chanoines de la cathédrale, choisis par l'évêque pour une période de trois années et gouvernant sous son autorité, à l'exclusion de toutes personnes laïques : MM. Payen et Cabillot furent choisis pour commencer et eurent le soin de recevoir les premiers malades. Les débuts de cette œuvre furent heureux. On acquit aussitôt dans la rue et près le Pont-Neuf la maison de la veuve Nicolas Mansuy, consistant en six chambres de soldats, puis celle du chirurgien François Mansuy et les jardins Jeandin et Nicolas Bricart ; de suite, eurent lieu les travaux de démolition et de reconstruction. Déjà bien des personnes charitables s'y intéressaient, et le Ier mai 1717, Nicolas Cabillot, présentant le premier compte de sa gestion, mentionnait, outre les sommes versées par les fondateurs, les dons particuliers de Melle Gérardin, de MM. de St-Laurent, Thomassin, abbé Laurent, Granet l'aîné, d'Arbon, Génin, B à zaille, Parisot et Sainthillier : il accusait ainsi près de 12.000 livres de recettes, qui couvrirent à peu près les dépenses. Les donations continuèrent à affluer dans le courant de l'année 1717 : l'évêque, le chanoine Launoy et M. Darancy firent apporter 130 franchards de froment; Hippolyte de Béthune amortit la rente q u 'il avait promise, en versant 9.000 livres pour la fondation de trois lits, plus 36o livres pour les mettre en état ; la veuve Joly légua 3 .000 livres; Jeanne Garaudé, veuve Louviot, en céda encore 950. L'hôpital lut donc bientôt prêt à accomplir ses destinées; le 29 avril 1717, l'évêque en bénit les bâtiments et le plaça sous la protection de S. Hippolyte ; le surlendemain, les trois premiers malades y furent admis. Ce même 29 avril, on avait traité avec Joseph Charles, supérieur de la maison St-Charles de Nancy, pour l'envoi de sœurs hospitalières ; il avait été convenu qu'il en viendrait d'abord deux, puis autant qu'il en serait nécessaire, et qu'elles recevraient chacune, outre leur nourriture et leur logement, une somme annuelle de 5o livres pour leur entretien. L'une d'elles, la sœur Anne-Marie, fut nommée économe de la maison ; elle fut chargée de la vente des vieux habits, des herbes et drogues de sa pharmacie aux personnes de la ville, et dut présenter tous les mois son compte de recettes et de dépenses. Le nombre de ces sœurs fut porté à trois avant la fin de l'année 1717, à la suite d'une donation de 1.000 livres, faite dans ce but par le chanoine de la Madeleine Louis Thiballier. Le chanoine Jean-Baptiste Binet en demanda une quatrième en 1737, et lui réserva par disposition testamentaire le prix de sa maison canoniale. En 1774, il y en avait cinq, qui recevaient alors 60 livres chacune pour leur vestiaire.

Les années 1718 et 1719 marquèrent encore de nouveaux bienfaits de la part de l'évêque et de MM. Thomassin, Granet l'aîné, Sainthillier, Fournel, D. Sébastien, Noël l'aîné, Vuatrin, l'abbesse de St-Maur, la comtesse de Rouville, etc. Pendant ce temps, des démarches étaient faites auprès du roi, afin d'obtenir son approbation, ainsi que l'autorisation d'agrandir les bâtiments et de faire de nouvelles acquisitions. Malheureusement l'évêque Hippolyte de Béthune, dont la charité avait rivalisé avec celle de son glorieux prédécesseur, Nicolas Psaulme, mourut le 24 août 1720. Il n'avait pas voulu cependant que son œuvre périclitât et il avait eu soin, dès le 27 juillet 1717, de lui assurer par son testament une existence durable. Il lui laissa 21.000 livres, pour la fondation de sept autres lits, ce qui portait à dix le nombre de ceux dont on lui fut redevable, et institua ses légataires universels le grand hospital des pauvres sains pour la moitié, le nouvel hôpital de St-Hyppolite, que j'ay fondé pour les pauvres malades, pour l'autre moitié. » Il greva seulement sa succession d'une rente annuelle de 300 livres en faveur des dames de la Charité ou sœurs grises. Observons que dans les dispositions de ce testament mémorable, il renouvelait les prescriptions qu'il avait arrêtées avec les autres fondateurs de St-Hippolyte, pour la direction et l'administration de cet établissement. La liquidation des affaires dura jusqu'au 23 mai 1724, époque à laquelle les exécuteurs testamentaires rendirent leurs comptes. Tous frais payés, legs acquittés, dettes soldées, etc., il restait pour la part du nouvel hôpital 67.674 livres, qui eurent l'emploi suivant : on acheta une maison à Glorieux pour 10.100 livres, deux gagnages à Beauzée pour 6.200, la maison Dupré à Verdun pour 5.050 deux gagnages à Vacherauville pour 11.400, deux à Sivry-sur-Meuse pour 4.600, un à Consenvoye pour 660, enfin on plaça 22.354 livres en rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris et l'on fit pour 3.571 livres de nouvelles constructions de bâtiments.

Pendant le même temps (1720-1724), les libéralités de Marie Fiacre, du Sainthillier, du chanoine Malassagne, de la veuve Louviot  et de Louis de Bigaut augmentèrent d'une façon notable les ressources de l'établissement. Aussi, en 1720, avait-on acheté la maison voisine du président Lacuisse, pour l'agrandissement des salles. De plus, à la suite d'une enquête qui fut de tous points favorable, Louis X V fit expédier en mars 1721 et le parlement de Metz enregistra les lettres-patentes, qui consacraient la fondation de l'hôpital, en amortissaient les bâtiments et permettaient de continuer les constructions et les acquisitions. La charité des fidèles en faveur de cette institution ne s'arrêta pas en aussi bonne voie : raconter par le détail toutes les donations serait fort long et dépasserait les limites de cette modeste étude. Il faut se contenter de signaler ici celles qui peuvent intéresser l'histoire de l'hôpital, et principalement les fondations de lits. Le traité de 1716 en avait assuré six aux indigents ; trois furent payés par l'évêque lui-même. Le testament d'Hippolyte de Béthune affectait une somme spéciale pour sept autres lits. Dès 1724, il y en eut donc treize, qui devaient être occupés par des malades de la ville ou du domaine de l'évêché, de l'abbaye de St-Vanne et de la cathédrale, désignés, pour les dix d'Hippolyte de Béthune, par l'évêque du diocèse. Un 14e fut fondé en 1728 et 1735 par Jean Marquant, commissaire de police, et l'archidiacre Noël ; un 15e et un 16° en 1729, par les chanoines Binet et Watrin; un 17e et un 18e en 1781, par Jean Houillon, curé de Dieppe et Haraigne, « pour le soulagement de quelques pauvres malades de ma paroisse, ou à leur déffant a la volonté de MM. les administrateurs » ; un 19e en 1733, par Marie-Thérèse Jacquemin ; un 20e en 1738, par Pierre Frémond de St-Martin. Jusqu'ici, pour être fondateur d'un lit, il avait suffi de payer une somme de 4.000 livres et de fournir de quoi acheter le meuble ; mais en 1739, intervint à ce sujet un règlement spécial, réclamé par les administrateurs eux-mêmes. D'après leur calcul, en effet, les 4 .000 livres, placées en biens-fonds, n'en rapportaient guère que 100 de revenu, soit 6 sols par jour, somme insuffisante pour l'entretien d'un malade. L'évêque Charles-François d'Hallencourt fit droit à leur requête : il fixa à 6.000 livres le prix d'une fondation, et demanda 200 livres pour l'achat et la fourniture du lit. D'ailleurs ces fondations allaient devenir beaucoup plus rares. De 1740 à 1789, on n'en signale plus qu'une seule : celle de M. Marchai et de sa sœur en 1776. Trois ans auparavant, les administrateurs, avec les économies réalisées, avaient pu faire de nouveaux agrandissements et établir eux-mêmes dix autres lits. Ainsi donc, à la veille de la Révolution, cet établissement, qui ne comptait pas trois quarts de siècle d'existence, avait le moyen, grâce aux nombreuses largesses en sa faveur, de loger et soigner 3 malades à la fois. Jusqu'en 1729, l'hôpital ne possédant qu'une salle, avait seulement admis des hommes ; ce fut Madame de Nave, qui donna la faculté de recevoir les deux sexes, en affectant une somme de 3.000 livres à la construction d'une seconde salle destinée aux femmes, qui fut édifiée dans le courant de l'année suivante. En 1789, les administrateurs reprirent un projet que n'avait pu exécuter l'évêque Desnos en 1780 ; ils bâtirent de leurs propres deniers une troisième salle pour les blessés, avec une chambre pour les opérations chirurgicales et une chapelle pour le dépôt des morts. Après cet exposé, il n'est plus besoin d'entrer dans les détails d'administration de St-Hippolyte ; les deux chanoines, qui le dirigeaient avec l'aide des sœurs de St-Charles, le maintinrent toujours dans une situation très florissante. Le dernier compte, présenté par le receveur Quentin Doberseq pour l'année 1789, indiquait comme recettes 587 franchards de froment, 84 franchards d'avoine et 25.816 livres d'argent, tandis que la dépense, qui avait absorbé tous les grains, ne montait qu'à 8.274 livres. Son domaine était devenu fort important : il comprenait une ferme à Abaucourt, une autre à Avocourt, trois gagnages à Beauzée, un à Billy-sous-Mangiennes, un à Brocourt, deux à Butgnéville et W adonville, un à Consenvoye, le tiers de la seigneurie de Génicourt, quelques près au même lieu et le bois de Reinfey, une ferme à Hautecourt, un gagnage à Herméville, six à Ippécourt, trois à Sivry-sur Meuse et un à Vacherauville,  sans compter des vignes et des maisons à Verdun. Il y avait donc là une source de revenus absolument sûre et très précieuse, dont ont profité jusqu'aujourd'hui les pauvres et les malades.

II. La Charité.

Il y aura peu de choses nouvelles à dire ici de cette œuvre, dont l'histoire a été écrite récemment par un auteur bien informé ; il suffira d'en présenter un résumé, pour que cette étude elle-même donne un aperçu aussi complet que possible des institutions charitables de Verdun aux X VIIe et X VIIIe siècles. C'est encore aux réformes de Nicolas Psaulme qu'il faut remonter pour en trouver le germe. Dans son projet de règlement de l'aumône publique, il priait les dames bourgeoises de la cité d'aider les recteurs dans leur tâche et de quêter dans la ville tous les dimanches. L'évêque fut écouté, et il se forma dès lors comme une association de dames charitables, qui s'ingénièrent à prouver constamment leur compassion pour les pauvres. On vit surtout leur dévouement en 1687, au moment où l'Hôtel-Dieu regorgeait de soldats malades et blessés qui arrivaient du siège de Damvillers, et lorsque le recteur Chastellain leur recommanda de quêter pour du linge ; puis en 1639. Cependant leur zèle devint quelque peu gênant pour le service de l'hôpital général ; si par les aumônes qu'elles recueillaient elles arrivaient à subvenir aux nécessités de quelques malheureux, elles se prétendaient en droit d'en faire entrer à Ste-Catherine, sans prendre l'avis des administrateurs. Elles demandèrent même qu'on leur livrât des bâtiments dépendants de cette maison ; mais le bureau s'y opposa, tout en reconnaissant leur bienfaisance et en les remerciant de leur charité. Elles se résignèrent donc à ne plus faire recevoir que les personnes acceptées par les recteurs, et elles n'en continuèrent pas moins leurs quêtes pour la subsistance de ceux qu'elles prenaient sous leur protection. Quelquefois, dans ces temps de malheur et de désolation, elles se trouvaient réduites, pour faire face à leurs engagements, à solliciter des secours à l'administration de l'Hôtel-Dieu : c'est ce qui arriva le 28 janvier 1640, où il leur fut alloué 8 franchards de froment. En 1665 seulement, cette confrérie de la Charité fut définitivement constituée ; une décision des grands vicaires du diocèse, le siège épiscopal étant vacant, la reconnut et en approuva les statuts. Elle se donna pour but de secourir en leur domicile tous les indigents, à qui l'hôpital général ne pouvait rien fournir. Les clames associées durent donc s'engager à « quêter pour les malheureux et les malades, prendre soin de leur guérison, les visiter chacune en sa semaine, les nourrir, préparer leurs viandes, et, si Dieu en dispose, les préparer à la mort, leur procurer les derniers sacrements et prendre soin de leur sépulture. » Elles placèrent leur congrégation sous la tutelle de l'évêque, président né de leurs réunions mensuelles ; mais celui-ci, étant presque toujours absent ou absorbé par d'autres affaires, se fit remplacer jusqu'en 1763 par un chanoine de la cathédrale, qui avait le titre de supérieur général. Elles eurent en outre à leur tête une supérieure et une trésorière nommées par elles pour la période d'une année. La trésorière rendit ses comptes tous les mois ; à partir de 1747, son office fut tenu par un chanoine. Nous savons à combien de personnes leur dévouement était nécessaire et combien grande était la misère publique dans ce X VIIe siècle, dont on ne connaît généralement que les triomphes et les gloires. Rien d'étonnant donc à ce qu'en 1693, les dames associées aient reconnu qu'elles ne pouvaient supporter toutes les fatigues que leur charité leur imposait. Le chanoine Duperron, alors leur supérieur général, leur donna 6.000 livres, pour traiter avec la maison des sœurs de St-Vincent de Paul de Paris et avoir sous leur direction deux religieuses, qui prendraient soin des malades, « auxquels elles feront cuire les viandes, porteront les bouillons, prépareront les remèdes, médicaments, et distribueront toutes les douceurs et commodités qui leur seront fournies par lesdites dames. » C'était une excellente innovation, dont on ressentit vite les bienfaits ; c'est, pourquoi l'œuvre ne fit que prendre des développements. Dès 1694, le chanoine Moreau fondait une troisième sœur ; en 1748, trois autres étaient appelées par suite des générosités des chanoines Noël et Hennequin et de l'oratorien  Willaume ; enfin, l'évêque Desnos, en 1784, porta leur nombre à huit et plaça en leur nom une somme de 10.000 livres sur les Etats de Languedoc. En 1697, ces religieuses, désignées assez souvent sous l'appellation de sœurs grises, avaient été logées dans une maison en l'île de St-Nicolas, dans la rue St-Louis actuelle.

Les principales ressources, dont pouvaient disposer les dames de la Charité, leur provenaient d'aumônes et de donation ; elles quêtaient dans toutes les églises et elles s'adressaient même parfois à la municipalité pour en obtenir une allocation. Heureusement, elles reçurent quelques legs : l'Inventaire des Archives hospitalières en mentionne qu'il est bon de signaler ici. En 1692, le chanoine Isidore Gerbillon leur confia le soin de distribuer, surtout aux pauvres honteux et aux prisonniers, une somme de 3.000 livres ; à la mort d'Hippolyte de Béthune (1720), elles héritèrent d'une rente annuelle de 300 livres, qui leur fut servie par les hôpitaux Ste-Catherine et St-Hippolyte, légataires universels ; l'année suivante, les chanoines François Desandrouins et Georges de Launoy leur laissèrent l 'un 200 livres, l'autre la moitié de tous ses biens ; en 1726 et 1728, elles perçurent les sommes léguées par Hanissette Philippe et le chanoine Claude Laurent ; en 1729, elles recueillirent avec l'hôpital général le bénéfice de la succession de Jean-Pierre Deschapelles ; l'archidiacre Jean Payen, deux ans après, les inscrivit sur son testament pour 500 livres, exemple que suivirent en 1787 et 1738 le chanoine Binet et Pierre Frémond de St-Martin ; en 1739, Jeanne Périn les institua ses légataires universels avec les administrateurs des deux hôpitaux ; en 1764, Aimée-Anne Lauxerrois désira qu'elles appliquassent la moitié de ses biens au soulagement des pauvres, de préférence ceux des faubourgs ; enfin elles jouirent des libéralités de François Marchai et de Nicolas Fransquin dès 1766, de l'humble servante Jeanne Devaux en 1773, et d'Anne-Marie-Charlotle Menu en 1779. Cela explique l'importance relative de leur budget annuel : M. Chadenet a montré qu'en 1740, elles eurent à disposer de 1.762 livres, en 1754 de 3.504 et en 1769 de 3.531.

Telles étaient les principales institutions charitables établies dans la ville de Verdun au XVIIIe siècle. Il ne faut pas se dissimuler qu'on pourrait encore ajouter bien des choses à cet exposé : signaler par exemple le rôle de la municipalité, qui faisait des distributions de secours pendant les années douloureuses et garda longtemps à ses gages un médecin des pauvres ; montrer l'instruction donnée gratuitement aux enfants de la cité par les Jésuites du collège, les maîtres d'école des paroisses, et les religieuses de la Congrégation ; détailler enfin la générosité de tant de personnes, qui laissèrent tout ou partie de leurs biens aux malheureux de la ville et des faubourgs ; mais ce qui précède suffit pour faire apprécier la profonde misère des classes les plus humbles et les remèdes qu'on tenta d'y apporter. Après une étude de la charité depuis les origines du moyen âge jusqu'à la fin de l'ancien régime, il n'est pas besoin de tirer des conclusions : les seuls faits parlent assez haut. Après les épouvantables malheurs des premiers temps, les XIIe et. XIIIe siècles avaient résolu, peut-être le mieux possible, la question de l'assistance publique ; sous l'inspiration d'une foi universelle, l'initiative privée, secondée par l'admirable régime des monastères et la constante sollicitude des évêques, avait bâti et doté de magnifiques hôpitaux, où tous, jusqu'aux malades les plus hideux et les plus repoussants, étaient traités comme les représentants du Christ. Puis vint la décadence, avec l'affaiblissement des organisations primitives, la multitude des guerres, la fréquence des calamités et l'accroissement de la misère. Depuis le X VI siècle, le mal ne fit qu'empirer : si les sphères supérieures de la société étaient élégantes et aisées, tout le reste de la population était dans une situation lamentable. Deux réactions furent bien tentées et eurent quelque effet : l'une eut pour initiateur Nicolas Psaulme, l'autre commencée par Louis XIV fut activée par Hippolyte de Béthune. La première moitié du X VIIIe siècle donna encore de nombreux témoignages de sa compassion pour les malheureux; mais il était absolument impossible pour les communautés, à plus forte raison pour les particuliers, de soulager toutes les infortunes. Comme il a été dit plus haut, il aurait fallu, pour détruire la mendicité, des réformes plus radicales que les palliatifs inventés par la royauté : le peuple, qui souffrait et qui en certains endroits mourait de faim, le savait bien, aussi le fit il comprendre aux députés qu'il envoya aux Etats-Généraux, quand il leur demanda de fournir du travail aux pauvres, de ne plus permettre l'établissement de nouveaux impôts et de réduire les anciens, de supprimer les multiples entraves du commerce et de l'industrie, enfin de délivrer l'agriculture des charges énormes qui l'écrasaient.

Après les tentatives infructueuses des derniers temps, la Révolution et le X IX e siècle trouvèrent donc posée devant eux la question du paupérisme. On a depuis assisté à une véritable renaissance des institutions de bienfaisance et de charité, trop lente au gré des uns, mais féconde cependant en heureux résultats ; la condition des classes inférieures a reçu des améliorations inouïes jusqu'à ce jour; mais ne reste-t-il plus rien à faire ?

 

L.-H. LABANDE.